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 Les racines du fondamentalisme islamiste – par Jalal Ganjei

Le 5 février 2015 s'est tenu à la Sorbonne un colloque organisé par la FEMO en collaboration avec l'IMAF et le Master Afrique de l'Université de Paris 1 sur les questions d'actualité qui touchent le monde arabo-musulman. Djalal Ganjei*, dignitaire musulman chiite, président de la commission des libertés de cultes du Conseil national de la Résistance iranienne a évoqué « Les racines de ce fondamentalisme islamiste, y a-t-il une distinction à faire entre l'extrémisme chiite et sunnite ? »

Les intervenants, Pierre Vermeren, Historien, Myriam Benraad, Docteur en sciences politiques de l'IEP et François Colcombet, Président de la FEMO, ont développé leurs points de vue sur l'actualité du moment : Où va le Moyen-Orient ? Le chaos actuel en Irak et en Syrie a-t-il une solution ? Faut-il associer l'Iran à une solution ? Autant de questions suscitées depuis l'été 2014 par la création d'un Etat islamique transnational (dit DAECH).

Dans son intervention l'Ayatollah Jalal Ganjei a déclaré :

« La scène du Moyen-Orient est caractérisée par le chaos aux conséquences imprévisibles. Pourtant, en tant que musulman je suis optimiste quant à l'issue de cette confrontation qui déterminera le sort d'un quart des habitants de la planète.

Contrairement à ce qui est évoqué dans certains médias, nous ne sommes pas devant un conflit entre intégrisme chiite et intégrisme sunnite. Tous les deux cherchent à accéder au pouvoir et faire appliquer la Charia par la force et à cet égard le principe du Guide suprême iranien et le califat d'Al-Bagdadi se rejoignent.

La charia consiste en un ensemble de règles formulées il y a 13 siècles, à l'époque des expansions territoriales de l'Islam. Ces expansions - dont Al-Bagdadi cherche à ressusciter le modèle - a été accompagné d'une extrême violence, marquant un dérapage fondateur avec l'esprit de l'Islam originel. En effet, l'an 61 du Hejir a vu le massacre, par le calife, du petit-fils du prophète et ses proches. L'année suivante, durant une expédition punitive du calife contre Médine, la ville emblématique de prophète, ses troupes se sont livrées pendant une semaine à toutes les exactions possibles et imaginables. Plusieurs milliers d'enfants illégitimes auraient été le fruit des agressions et violes des soldats du calife. Un an plus tard, cette fois c'est la Mecque, alors le centre de mouvement de contestation, qui est visé par le carnage, n'épargnant pas la Kaaba qui a été partiellement détruite.

C'est donc à l'époque de l'expansion islamique et dans des circonstances historiques et sociales particulières que la charia a été formulée. C'est pourquoi, lorsque nous étudions la charia, nous constatons que contrairement à l'esprit de l'Islam originel, elle est remplie de préceptes discriminatoires, misogynes, intolérantes et cherche à s'imposer par la force du glaive. Les versions chiites et sunnites de cette charia n'ont pas de différences idéologiques et pratiques de fond. Leurs spécifiés relèvent de rivalités séculaires pour le pouvoir. Les deux courants cherchent à imposer la charia par la contrainte du pouvoir étatique.

Pourquoi sa manifestation au XXIe siècle

Il convient de demander pourquoi cette crise se manifeste au XXIe siècle? La réponse à cette question doit initialement être cherchée dans les conséquences de la première guerre mondiale et l'effondrement de l'empire ottoman. Suivi par la création de pays mosaïque et artificiel comme la Syrie, l'Irak et le Liban, ainsi que le déclenchement de la crise arabo-israélienne et les guerres successives qui ont enlisé la région dans d'interminables crises. C'est dans cette conjoncture qu'une idée a vu le jour pour panser les maux des masses musulmanes : ressusciter le califat et la grandeur islamique passée. Ce courant de pensée superficiel et simpliste ne faisait pas grand cas des évolutions sociales et économiques intervenus au cours des 14 derniers siècles. Cette tendance était à une époque tellement prégnante que les Britanniques ont songé à proposer le roi Fouad, dernier souverain d'Égypte avant Nasser, comme calife des musulmans. Ce projet a toutefois échoué grâce à la vigilance des intellectuels égyptiens et une partie des Al-Azharis. Ailleurs, on a voulu asseoir comme calife un certain imam Yahya Badr, personnalité religieuse et roi du Yémen avant la proclamation de la république dans ce pays. C'est dans ces circonstances que des gouvernements baasistes et nasséristes ont pris le pouvoir dans les pays arabes. L'espoir de la création d'un califat s'est alors évanoui.

Mais, un tournant intervient avec l'instauration de la République islamique en Iran. Elle donne aux groupes islamistes l'inspiration et la perspective plausible de créer leurs propres califats. Dès le début de la prise du pouvoir par les mollahs en Iran, de nombreux groupes, notamment les représentants des frères musulmans, sunnites, sont venus féliciter Khomeiny et solliciter son aide pour renverser les régimes de leurs pays respectifs. Ce n'était pas uniquement des groupes chiites.

Par ailleurs nous savons qu'en vertu de la constitution de la République islamique, le régime est engagé à aider les mouvements religieux dans le monde musulman. Plusieurs organes ont été créés dans ce but au sein des Gardiens de la révolution (Pasdaran). Des budgets considérables ont été alloués et des bases ont été destinées à former les volontaires de divers pays. Aussi, des groupes islamistes, tant chiites que sunnites, ont été créés dans les pays de la région, Hezbollah, Djihad islamique, Hamas, Houthistes etc... Rappelons que le chef du Front Al-Nosra en Syrie (un groupe sunnite) a déclaré : même si nous avons des différents religieux avec l'Iran, nous ne sommes cependant pas en conflit. Par ailleurs, il a été avéré que le régime iranien a soutenu Al-Zarqaoui, le premier chef d'Al Qaïda en Irak - devenu aujourd'hui Daech.

Nous observons bien qu'il ne s'agit pas d'un conflit religieux chiite-sunnite. Ni le phénomène Daech, ni le phénomène Khomeiny n'ont proposé aucune interprétation nouvelle de l'Islam pouvant être la cause de conflit. Au contraire, leur convergence de vues les amènent vouloir imposer par la baïonnette une interprétation intégriste de l'Islam.

Ici, il convient de regretter le manque de discernement des politiques occidentaux qui n'ont pas vu venir ce fléau. Mus par des politiques mercantiles et des visions étroites vis-à-vis du danger intégriste, ils ont plutôt renforcé le régime intégriste en Iran. Cela a permis d'insuffler l'espoir aux groupes tels qu'Al-Qaïda et Daech de la possibilité de créer des régimes similaires ailleurs dans la région.

À l'opposé, il est intéressant de savoir que nombreux sont les musulmans, notamment en Iran et en Irak, où existe une aversion profonde pour le projet Khomeiniste, combattent courageusement les conceptions intégristes de l'Islam. En plus des milliers de prisonniers politiques torturés et exécutés en Iran pour s'être opposés à la dictature religieuse, le peuple iranien tout entier s'est insurgé en 2009 pour revendiquer la fin du pouvoir islamiste. Les conséquences dévastatrices de ce soulèvement pour le régime est toujours palpable dans le délitement graduel et l'instabilité du régime.

Pourquoi l'optimisme ?

Comme nous l'avons vu, la solution au problème de l'intégrisme ne peut se limiter dans une approche purement militaire. En effet, une large coalition internationale a réagi face à Daech qui occupe de larges territoires et sème l'effroi par sa cruauté. Mais cette mobilisation militaire ne peut venir à bout du potentiel expansionniste des mouvements intégristes.

Pour éradiquer l'islamisme il y a deux éléments déterminants à considérer. D'une part, l'évolution de la situation révélera que le pouvoir basé sur la charia rétrograde et sanguinaire est un phénomène historiquement intenable. D'autre part, toute force alternative - musulmane - doit être porteuse d'un message novateur comportant les trois éléments suivants.

Premièrement, il importe de retourner à l'essence de l'Islam originel et récuser la charia dogmatique et toute conception fixiste et sacralisant la dogme. Comme cela a été encouragé par le prophète Mohammad, les musulmans doivent toujours proposer de nouvelles solutions et s'engager dans de nouvelles voies. Pour les problèmes de notre monde il faut compter sur des moyens pacifistes pour l'égalité et la justice. Cela est au centre de l'ijtihad et de l'effort d'interprétation des textes fondateurs. C'est précisément à ce potentiel de l'Islam que se dérobent les intégristes qui bannissent toute modernité sous le coup d'apostasie et de blasphème.

Deuxièmement, toute contrainte dans la religion doit être bannie. Imposer des idées par la contrainte est proscrit dans l'Islam. De la même manière que la prière et le jeûne obligatoire n'est pas admis, le code vestimentaire obligatoire est nul et non avenu.

Troisièmement, le principe d'un État religieux qui permettrait à un groupe d'imposer son hégémonie sur les autres composantes de la société doit être jetée dans les poubelles de l'histoire.

Les prémices de ces changements sont largement palpables dans le monde musulman. Surtout dans notre pays l'Iran. Or, la communauté internationale a la responsabilité d'ouvrir ses yeux devant cette évolution. Il faut combler les ignorances du passé et renoncer aux politiques purement mercantiles. Sinon, ce ne seront pas que les peuples du Moyen-Orient qui auront à payer pour ces erreurs. Déjà la fatwa contre Salman Rushdie présageait ce à quoi nous devions nous attendre. Le massacre de Charlie hebdo en France et les attaques similaires prévues en Belgique, en Grande-Bretagne et ceux qui ravagent actuellement l'Afrique, sont autant d'indices qui rappellent que nous sommes en train de payer le gâchis des politiques qui ont cherché à minimiser le danger islamiste.

Le meilleur moyen de lutter contre ce phénomène funeste c'est de soutenir les musulmans démocrates de la région, en particulier ceux qui luttent contre cet intégrisme installé en Iran. »

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* L'Ayatollah Jalal Ganjei qui fut élève de Khomeiny à Najaf en Irak, a ensuite combattu les idées de ce dernier. Il a perdu 9 membres de sa famille tués par le régime iranien et a été condamné à mort par Khomeiny pour raison religieuse et politique. Il s'est notamment illustré en étant l'un des rares dignitaires religieux musulman à condamner le Fatwa de mort contre l'écrivain Salman Rushdie.