L’emprise des gardiens de la révolution sur l’économie iranienne paralyse ce pays*
Par Nader Nouri,
Un peu plus d'un an après la levée des sanctions économiques internationales liées au programme nucléaire militaire du régime iranien, de nombreuses entreprises occidentales, notamment européennes, attirées par le potentiel d' « un marché de 80 millions d'habitants », se sont ruées vers le soi-disant « eldorado » iranien. Mais faire des affaires et surtout investir dans ce pays, s'est avéré plus compliqué que ce que l'on imaginait au départ.
Outre des obstacles comme la corruption généralisée, une bureaucratie serpentine et complexe et une législation qui ne favorisent pas des relations économiques, commerciales ou financières saines avec le monde extérieur, le problème numéro un de toute relation économique ou commerciale avec la république islamique a un nom : le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) communément connu comme « les Pasdarans ».
Ce corps créé par un décret de Khomeini le 5 mai 1979, a pour but officiel de protéger « les acquis de la Révolution islamique en luttant contre l'ennemi intérieur et extérieur » selon ses statuts, autrement dit, en imposant son idéologie moyenâgeuse à l'intérieur et en l'exportant vers l'extérieur où le terrain est propice. En réalité, Khomeini se méfiait de l'armée classique, restée longtemps fidèle au Chah. Les Gardiens de la révolution lui permettent d'introduire une dualité dans les forces armées, avec un corps composé uniquement de personnes très endoctrinées, entièrement engagées dans la défense du nouveau régime.
La guerre Iran-Irak (1980-1988) est l'occasion pour les Pasdarans de s'illustrer et d'augmenter leur emprise sur le champ militaire iranien. A la fin de la guerre et à la mort de Khomeini (1989), la question de leur rôle se pose. Si Akbar Hachémi-Rafsanjâni (président du régime, 1989-1997) les cantonne à un rôle politique mineur, il les implique dans l'économie au nom de la « reconstruction » d'un pays dévasté par la guerre. Visant juste au départ à augmenter le budget des Pasdarans et à occuper ses soldats après la guerre, ces derniers vont progressivement étendre leur implication à tous les champs de l'économie iranienne. Ils contrôleraient aujourd'hui près de 60% de l'économie iranienne.
C'est durant la présidence Khatami (1997-2005) et à cette époque que se forge une subtile alliance entre Ali Khamenei, le nouveau guide suprême et les factions qui l'entourent, avec les Pasdarans, visant à consolider le pouvoir de chacun contre la faction rivale dite « réformiste ». C'est enfin sous la présidence Ahmadinejad (2005-2013), lui-même ancien pasdaran, que ceux-ci vont considérablement renforcer leur pouvoir (nombreux postes ministériels, attributions de nombreux marchés publics, élargissement de leurs compétences).
La mainmise croissante des Pasdarans sur la vie économique du pays avec la bénédiction du guide Ali Khamenei et leur rôle actif dans la répression de mouvements de protestation populaires, la dernière en date étant lors des manifestations monstres de 2009, a écorné leur image depuis longtemps auprès d'une majorité de la population. Les Pasdarans sont perçus, en effet, comme les troupes de choc du régime et comme une brigade des mœurs d'orientation extrêmement répressive.
En 2013, c'est Hassan Rohani, un mollah qualifié de « conservateur pragmatique » qui arrive au pouvoir. Les Pasdarans sont divisés quant à l'accord nucléaire recherché par le guide suprême sous la pression grandissante des sanctions économiques internationale et dont les négociations sont confiées au nouveau président. Une faction y voit un intérêt pour accroitre son business avec la levée des sanctions, tandis qu'une partie craint la pénétration étrangère en Iran, confrontant le pays à la concurrence économique.
Aujourd'hui, le corps des Gardiens de la révolution se divise donc en six branches : terre, mer, air, unité de missiles, milices Bassidj et la Force Qods, cette dernière étant le véritable bras armé de la République islamique à l'étranger, agissent sur de nombreux théâtres d'opération (Irak, Syrie, Yémen). Leurs missions se confondent avec celles des forces spéciales classiques et des services de renseignement. Cette force est réputé pur avoir trempé dans des attentats terroristes, des élliminations physique d'opposants et des massacres perpétrés pas des milices sous ses ordres.
Parallèlement au volet militaire, les Gardiens de la révolution ont donc créé un véritable empire industriel et commercial, couvrant tous les secteurs de l'économie iranienne (construction, télécommunications, énergie). Leur poids économique et militaire en fait un organisme politique au cœur de tous les enjeux politiques iraniens.
Un empire économique sous l'emprise des Pasdarans avec la bénédiction de Khamenei
Si le CGRI est devenu la première puissance économique de l'Iran avec le contrôle de nombreux conglomérats économiques comme la Fondation des déshérités ou Astan-e Qods... et encore d'autres et contrôle effectivement des pans entiers de l'économie des secteurs BTP aux banques, marchés financiers et de devises étrangères en passant par les télécommunications ou le tourisme, c'est qu'il est chargé du projet de survie du régime des mollahs.
Récemment le guide suprême iranien Ali Khamenei, dans le but de poursuivre et d'étendre son ingérence en Irak, a nommé le Iraj Masjedi, brigadier-général membre les pasdaran et commandant adjoint de la force terroriste Qods, comme nouvel ambassadeur dans ce pays à Bagdad.
Ainsi, dépendant totalement du CGRI et les milices créées par ce dernier, pour leur survie, et en réprimant leurs populations sunnites, Bachar Assad et Nouri Al-Maliki ont joué un rôle essentiel dans l'émergence de Daech dont le terrorisme aveugle menace aujourd'hui le monde entier, comme chacun le sait.
Aujourd'hui, la force Qods des Passdaran et certains de ses ramifications en Iran et ailleurs dans la région se trouvent sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis non seulement pour leur implication dans le programme nucléaire militaire du régime, mais pour leur rôle effectif dans la violation des droits humains en Iran et ailleurs dans la région ainsi que le terrorisme. Un grand nombre des chefs de cette entité tentaculaire se trouvent également, à titre individuel, sur les listes de sanctions de l'Union européenne (gel des avoirs, interdiction de séjour sur le sol européen...).
Pas moins de la semaine dernière des membres du Congrès américains ont demandé à l'administration américaine de désigner les pasdaran comme une organisation terroriste étrangère. Ce qui risque de compliquer les affaires des entreprises occidentales en Iran.
A ce sujet, toute entreprise qui veut faire des affaires en Iran, doit garder à l'esprit les faits suivants :
1-Le régime du guide suprême est sous l'emprise totale de ce dernier, ses affidés et les Pasdarans que ce soit sur le plan militaire ou sur le plan économique.
2-La politique et l'économie iranienne souffrent d'une crise systémique que ne peut être uniquement réduite aux seules conséquences des sanctions internationales. La « militarisation » de l'économie et le monopole de la Maison du guide suprême sur celle-ci ont commencé bien avant l'imposition des sanctions internationales et ont connu leur apogée au cours de décennie allant de 2005 à 2015.
3-Avec la signature de l'accord sur le nucléaire en juillet 2015, de nombreuse chancelleries et une multitude de commentateurs en Occident espéraient un changement de comportement total du régime du guide suprême vers l'extérieur et surtout la fin des ses aventures guerrières en vue d'une hégémonie régionale. Il n'en a rien été. Les recettes venant des exportations pétrolières reprises depuis un an suite à la levée des sanctions dans ce secteur sont encaissées par les Pasdarans pour financer leurs efforts de guerre en Syrie et l'Irak et leurs activités déstabilisatrices au Liban par l'intermédiaire du Hezbollah, et au Yémen à travers des milices Houthis. C'est pour cette raison que les autorités de Téhéran demandent aux entreprises occidentales d'apporter leurs « investissements » et leur savoir-faire aux entreprises iraniennes que, chacun le sait, sont contrôlées par les Pasdarans ou les entités affiliées à ces derniers.
4-Aucun contrat commercial avec l'Iran ne peut aboutir qu'avec le consentement des Pasdarans qui s'expriment à travers les dirigeants des entreprises directement ou indirectement contrôlées par ces derniers. Evidemment, cela comporte des risques énormes. Le moins que l'on puisse dire c'est le risque pris en faisant des affaires avec des entreprises qui renforcent financièrement une entité responsable de nombreux conflits meurtriers actuellement en cours au Moyen-Orient et qui, entre autres, contribue au flux des réfugiés de cette région vers l'Europe, ce qui met le vieux continent dans une situation ubuesque.
5- La perspective du renforcement des sanctions américaines en raison, entre autres, du programme de missiles balistiques de longue portée du régime de Téhéran expressément interdit par la résolution 2231 du Conseil de Sécurité de l'ONU ou pour d'autres raisons liées aux politiques déstabilisatrices de ce régime, rend toute transaction avec les entités économiques de l'Iran extrêmement risquée. Outre la quasi-faillite du système bancaire en Iran, les grandes banques internationales, notamment européennes, hésitent à juste titre de financer ou garantir de telles transactions, sans parler de la nécessité du respect des conventions internationales sur la transparence des accords commerciaux, la corruption, les discriminations ethniques, religieuses, ou liées au statut des femmes, que les lois et pratiques en « République islamique d'Iran » ne garantissent en rien.
6-Pour conclure, il faut se rendre à l'évidence : tant que les Pasdarans ne seront pas écartés de la scène moyen-orientale, tout espoir de changement concernant l'Iran serait vain. Les mettre hors de l'état de nuire dans la région, c'est la condition préalable à tout changement aussi bien à l'intérieur de l'Iran que dans la région.
*Ce texte est une intervention que Nader Nouri secrétaire général de la FEMO a prononcé lors d'un colloque le 1 février 2017 à l'université Jean Moulin de Lyon