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L’investiture de Pezeshkian ne change pas grand-chose en Iran 

La vraie réforme passe par une révolution

En Iran, Massoud Pezeshkian sera investi le 28 juillet par le guide suprême Ali Khamenei et fera sa prestation de serment le 30 juillet, devant le Parlement. Quelles conséquences cette investiture entraînera en Iran et dans le monde ? Devrons-nous nous attendre à un changement de comportement de la République islamique d'Iran ? Sara Nouri, avocate au Barreau de Paris et spécialiste de l'Iran analyse la situation en apportant son éclairage à nos interrogations.

Question : Est-ce que l'arrivée de ce « réformateur », Massoud Pezeshkian, modifiera quelque chose en comparaison au mandat d'Ebrahim Raïssi, tué dans un accident d'hélicoptère en mai dernier ?

Sara Nouri : Je vais vous répondre sans détour. Il n'y a pas de véritable changement en perspective pour deux raisons claires. Premièrement, le système de la République islamique et verrouillé par le haut, avec l'exercice d'un pouvoir absolu octroyé au guide suprême, actuellement Ali Khamenei. Deuxièmement, Pezeshkian ne semble pas être l'homme du changement qui prendra le risque d'affronter le pouvoir du guide suprême.

Je m'explique :

En réalité ce qu'on appelle une république islamique n'a rien d'une République. Il s'agit d'une sorte de Califat qui a doté son chef ou guide suprême d'un pouvoir absolu, par l'introduction du principe de la tutelle du jurisprudent religieux ou la suprématie d'un guide suprême religieux au sommet de l'Etat. Son pouvoir est renforcé par l'article 110 de la constitution qui détermine les devoirs et les pouvoirs du Guide suprême. On peut constater que le guide : détermine les politiques générales du régime, prend le commandement suprême des forces armées, déclare les guerres, nomme et révoque la moitié des membres du Conseil des Gardiens qui filtre les candidats à toutes les élections, nomme le chef du pouvoir judiciaire, le directeur de la Radio-télévision d'Etat, le chef d'Etat-major et les commandants en chef des armées et du Corps des gardiens de la révolution, la liste est bien longue.

Mais Khamenei ne s'est pas contenté de cet article de la constitution et a montré un très gros appétit pour accaparer tout le pouvoir. Il a pris le contrôle total des forces de sécurité, ainsi que celui des renseignements à travers son fils Mojtaba. C'est Ali Khamenei qui dicte le choix des ministres de la défense, des affaires étrangères, des renseignements (VEVAK), de l'intérieur. Les ingérences du régime iranien dans les pays de la région du Moyen-Orient, la guerre au Proche-Orient sont du ressort de la force Qods des CGRI, directement contrôlée par le guide. Il contrôle également l'économie, le commerce pétrolier, l'industrie pétrochimique, la banque centrale… Par conséquent, le président a entre les mains un couteau sans lame puisque la politique et les moyens de son application ne sont pas de son ressort.

Question : Mais après tout Pezeshkian est bien un réformateur. Cela aurait été différent si l'ultraconservateur Jalili était investi dimanche prochain ?

Sara Nouri : Là on arrive à un deuxième argument qui nous permet de dire que rien ne va fondamentalement changer. Il faut se méfier de ces descriptions simplistes des clans au pouvoir actuellement en Iran. Ces clans sont aujourd'hui définis par des tendances multiples. Pezeshkian se trouve à l'aile la plus conservatrice de ceux qu'on appelle les réformateurs. On le définit également comme un conservateur réformiste. De ce point de vue, l'ancien président Khatami est présenté comme un réformateur. Vous avez aussi les conservateurs modérés, comme l'ancien président Rohani ou son ministre des affaires étrangères Zarif. Les conservateurs se départagent entre une dizaine de clans, les plus célèbres étant les ultraconservateurs du front de Résistance du candidat malheureux Saeed Jalili, ou les néo-conservateurs de Mohammad Bagher Ghalibaf, président du Majlis ou les conservateurs traditionnalistes dont fait partie Pour-Mohammadi, autre candidat malheureux à la présidence et, au passage, juge lors du massacre des prisonniers politiques en 1988. Là aussi la liste est longue.

Si vous cherchez une divergence doctrinale entre l'ensemble de ces courants, vous allez être déçu. L'enjeu des rivalités n'est qu'une guerre des loups entre bandes de mafieux qui demandent des parts toujours plus grandes dans le partage des richesses de ce pays. Un point c'est tout. Est-ce qu'il y a un camp qui vaut mieux que les autres ? Comment cela pourrait en être ainsi, puisque chacun a intérêt à prolonger la survie de cette dictature religieuse pour s'enrichir. Tous ces clans sont tellement trempés dans des affaires de corruption et dans le sang versé des Iraniens qu'ils n'ont aucun espoir dans un autre système.

Question : Alors je formule ma question autrement, est ce qu'il existe quand même de vrais réformistes ?

Parler de réformistes en Iran est un anachronisme, étant donné la nature théocratique et dictatoriale de l'État. Je dirais même que c'est un contresens de parler de réforme dans ce système. Un véritable réformateur s'apercevrait très vite que pour faire des réformes, il faudrait écarter d'abord le principe du guide suprême. En effet, la première réforme à faire en Iran c'est de sortir d'une théocratie religieuse.

Par conséquent, selon les définitions courantes de la réforme, ma réponse est que Pezeshkian n'est en rien un réformiste. Et au sein des factions de ce régime, vous ne trouvez aucune trace d'un réformiste. Aucun ne se coupera de la source de son existence. Il y a un proverbe persan qui l'explique très bien : « un couteau ne coupe jamais son propre manche ».

Les Iraniens l'ont bien compris. C'est en ce sens qu'en 2017, à l'université de Téhéran, lors d'un soulèvement contre le pouvoir en place, les étudiants ont scandé : « Conservateurs, réformateurs, votre jeu est maintenant terminé ». Ce slogan, repris lors des manifestations qui se sont répétées au fils des ans à travers le pays, signifie que le jeu de dupe du régime laissant croire à l'existence d'une possible modération, ne trompe plus les Iraniens. C'est en cela que l'entrée en jeu de Pezeshkian dans la course à la présidence n'a suscité aucun enthousiasme au sein de la population, particulièrement la jeunesse qui représente 70% de la population.

Question : Justement, pourquoi dans les circonstances actuelles le Conseil des gardiens, qui est contrôlé par le guide suprême et procède au filtrage des candidats, a autorisé Pezeshkian à se présenter et a ainsi risqué d'écarter Jalili, un ultraconservateur qui aurait peut-être mieux fait l'affaire du régime ?

Il faut savoir qu'à la veille de la présidentielle, l'enjeu majeur après une série de boycott massif des mises en scène électorale en Iran, était l'ampleur de l'abstention. Les appels répétés du guide suprême à la participation, expliquant que c'est la légitimité et l'existence du régime qui est en jeu, se sont soldés par des échecs lors de l'élection de Raïssi en 2017, puis lors des élections législatives et de l'assemblée des experts en 2024. A chaque fois la population a boudé les mascarades électorales. La chute de popularité du régime est telle que, selon les chiffres officiels, lors du deuxième tour des législatives à Téhéran en mai dernier, seulement 7% des électeurs se sont présentés !

Par conséquent, surpris par la mort accidentelle d'Ebrahim Raïssi, le guide s'est trouvé devant une épreuve difficile. Le choix du prochain président est devenu secondaire par rapport à l'enjeu de l'abstention. Khamenei, qui grâce à Raïssi avait misé sur un élan de purification dans les rangs des fidèles du régime pour conserver un cercle, s'est vu obligé d'appeler les factions délaissées, à commencer par les « réformateurs », à participer au scrutin pour chauffer la campagne et éviter au guide de se ridiculiser davantage par le peuple. Le clan qui se sentait exclu des précédentes élections a sauté sur l'occasion et a posé ses conditions, à commencer par l'autorisation d'un de ses trois candidats à la course électorale. Ali Khamenei a choisi le moins risqué des candidats qui lui ont été présentés, à savoir Massoud Pezeshkian. Mais l'opération a fait chou blanc. Le peuple n'est pas revenu sur sa décision de tourner le dos au régime. Malgré les annonces officielles de résultats triomphalistes avec des chiffres de participation multipliés jusqu'à 5, le résultat a été désastreux. Des surveillances sérieuses effectuées par l'opposition iranienne font état de 12% de participation au premier tour et de 9% au deuxième tour. Par conséquent, Pezeshkian est le président le plus mal élu de la République islamique.

Question : Est-ce que vous contestez donc les chiffres officiels qui ont laissé croire à une légère reprise au deuxième tour ?

Il faut savoir que nous ne sommes pas dans un Etat de droit, mais dans un régime mafieux. Des arrangements en sous mains se font au détriment du peuple. Les fraudes ont débuté dès les premières élections en Iran après la révolution et ce que l'on appelle « l'engineering électoral », qui consiste à modeler le résultat du scrutin en fonction du rapport de force entre faction tout en dissimulant l'impopularité du régime, est de mise. Les annonces officielles n'ont donc aucune crédibilité. Elles nous permettent juste de mesurer la fragilité du pouvoir du guide suprême qui se trouve dans un dilemme : partager le pouvoir avec ses autres factions ou poursuivre l'épuration de ses rangs et s'isoler davantage. En un mot, on a l'impression que Pezeshkian est le dernier recours d'un régime en perdition.

Question : parlez-nous un peu du programme de Pezeshkian, quel est son discours ?

Il a lancé mi-juillet un « message au nouveau monde » dans le journal Tehran Times, qui parait en anglais. Force est de croire que cette tribune était destinée à tenter de sortir les occidentaux de leur méfiance à l'égard de cette mise en scène. Mais là aussi il a fait un flop. Il propose d'entamer « un dialogue constructif » avec l'Europe, mais maintient une continuité dans la politique de rapprochement avec la Russie et la Chine. Il répète la même rhétorique du régime concernant l'accord nucléaire, ce qui ne laisse envisager aucune évolution dans ce domaine. Sachant que selon l'AIEA, l'Iran est le seul Etat non doté d'armes nucléaires qui enrichit de l'uranium jusqu'au niveau élevé de 60 %. C'est pourquoi le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a alerté récemment sur l'accélération au cours des derniers mois de ce programme controversé. L'AIEA estime que la République islamique disposerait désormais de suffisamment de matière "pour deux armes nucléaires".

Question : On a bien compris que de ce point de vue, on ne devrait pas trop espérer. Et dans les autres domaines : la guerre au Proche-Orient et la question des droits de femmes à l'intérieur du pays ?

Quant aux troubles provoqués par le régime iranien dans la région, c'est du ressort du guide suprême. Mais là-dessus, Pezeshkian ne semble pas avoir de divergences majeures. Il considère que le chef de la force Qods Qassem Soleimani, tué dans une attaque des forces américaines est un héro anti-terroriste mondial. Ses premiers échanges après sa victoire étaient avec Bachar Assad, et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Il a également réitéré son soutien aux dirigeants des houthis du Yémen. Donc il ne va pas vraiment peser dans le conflit à Ghaza qui risque de s'étendre à une guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban, ainsi qu'avec la milice Ansorallah au Yémen.

Pour ce qui concerne l'intérieur, tout simplement Pezeshkian a déclaré ne pas avoir de programme. Son programme sera conforme aux politiques générales dictées par le guide suprême. Durant la campagne électorale, il n'a pris aucun engagement concret en ce qui concerne les libertés en général ou le port du voile obligatoire. D'ailleurs, il s'est vanté d'être l'un des précurseurs qui a imposé le voile obligatoire dans les hôpitaux et les universités au début de la révolution.

Quant à Khamenei et son entourage, ils ne cessent de l'appeler à poursuivre la politique de Raïssi. L'Imam de la prière du vendredi à la ville sainte de Qom, a averti, le 19 juillet : « Le président devrait choisir des collaborateurs qui poursuivent le chemin de Raïssi et qui ont été félicités par le Guide suprême »,

Le beau-père de Raïssi, Ahmad Alamolhoda, qui est l'influent représentant de Khamenei à la ville de Machhad, multiplie les menaces et les mise en garde contre toute déviance à l'égard du guide suprême.

Un autre moyen de pression est la formation d'un gouvernement fantôme par Saïd Jalili. Une initiative sans précédent qui fait état de la montée des guerres de clans après la disparition de Raïssi.

Question : Est-ce que le régime sort renforcé ou affaibli de cette épreuve de l'élection présidentielle. A défaut de changer le sort des Iraniens ou de la région du Moyen Orient, Pezeshkian est-il d'un secours pour la survie du régime ?

Avec la mort d'Ebrahim Raïssi, le verrou a sauté et les dissensions internes commencent à faire rage. Cette situation va affaiblir le régime dans sa totalité. On a pu voir que ni Jalili, ni Ghalibaf n'ont accepté de se désister pour faire gagner le clan conservateur. Un proche de Khamenei, le mollah Alireza Panahian, a mis en garde contre ces luttes intestines qui : « empêchent non seulement le pays de progresser, mais épuisent également le peuple en politique. Le slogan deviendra : réformateurs, conservateurs, c'est fini, allez tous au diable ! ».

Les brèches qui se créent au sommet du pouvoir vont être exploitées par le peuple qui n'a pas renoncé à renverser le régime. Le taux d'abstention très élevé en est une preuve. Depuis 2017, le pays est touché par des soulèvements de plus en plus menaçants pour le pouvoir. L'affaiblissement général du régime l'expose à des prochains soulèvements encore plus dangereux. Mais la contestation des Iraniens n'est pas uniquement passive. On constate une inquiétude grandissante des autorités s'agissant des activités courageuses des unités de résistance à travers le pays. Ces unités de résistance constituées par le réseau des Moudjahidine du peuple d'Iran, la principale force d'opposition, ont la cote et la sympathie de la population, notamment auprès de la jeunesse, pour ses actions défiant la répression. En ce sens, l'affaiblissement du régime accentue la perspective et l'espoir d'un changement par un soulèvement, ce qui, au yeux de la plupart des Iraniens, est la porte de sortie de la théocratie religieuse et répressive. Pour les Iraniens, la vraie réforme passe par une révolution.