L’Iran à l’heure de changement : des « élections » présidentielles pas comme les autres
Par Nader Nouri
Alors que le pays plonge davantage dans la crise la plus grave qu'il ait connu depuis des décennies, le Guide suprême Ali Khamenei vise, dans un scénario pré-écrit pour s'en sortir, à homogénéiser son régime en imposant un «mollah-juge » connu pour son extrême brutalité comme le nouveau président
Par Nader Nouri
Les élections présidentielles qui auront lieu en Iran le 18 juin seront sans doute décisives pour l'avenir d'un régime théocratique plongé dans une crise existentielle inédite, même si le président n'a fondamentalement aucun pouvoir réel au sein de la République islamique.
Précisons que les élections en Iran n'ont jamais été conçues et organisées pour permettre au peuple d'exprimer sa volonté et son choix dans un processus démocratique, équitable et transparent. Elles sont plutôt un processus de sélection par un guide suprême lui-même non élu. Ali Khamenei qui détient le pouvoir réel au sommet de l'Etat depuis 32 ans, contrôle le Conseil des gardiens de la Constitution, un organe de contrôle non élu chargé de filtrer les candidats. Ainsi, le résultat des élections n'est pas décidé par le peuple, mais par l'équilibre interne du pouvoir au sein du régime.
Si toutes les élections depuis 1979 ont été verrouillées d'avance voire truquées, elles ont servi à donner une apparence de démocratie et de républicanisme à la théocratie au pouvoir. Toutefois, l'élection présidentielle de 2021 est très différente, car l'Iran de 2021 est à l'aube d'une transformation fondamentale.
En effet, Khamenei trouve son régime de plus en plus faible et vulnérable après une série de soulèvements populaires depuis 2017, une corruption endémique et une économie en faillite. L'état explosif de la société iranienne s'est traduit par le boycott écrasant des élections parlementaires de février 2020 et par les prouesses croissantes de l'opposition organisée à l'échelle nationale, le tout aggravé par des luttes intestines féroces entre factions.
Face à ces réalités, Khamenei a choisi de resserrer les rangs et de consolider le pouvoir entre les mains de ceux qui lui sont absolument fidèles afin d'empêcher le changement sismique auquel il sait qu'il devra faire face tôt ou tard.
Dans une déclaration publique sans précédent, l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013), disqualifié par le Conseil des gardiens pour les élections du 18 juin, a mis en garde les dirigeants du pays : « si vous persistez [à gérer les affaires du pays] de cette manière, une autre journée de 22 Bahman [11 février] à l'inverse arrivera... », allusion à le révolution iranienne de 1979, officiellement célébrée le 11 février (discours à Astaneh-Achrafieh, le 22 mai)
Khamenei semble donc décidé à mettre fin aux traditionnelles mises en scène électorales autour d'une supposée rivalité "modéré-conservateur " car celle-ci n'est plus payante pour assurer un certain degré de stabilité dans l'équilibre interne du pouvoir face à une situation sociale détériorée où l'effondrement de l'économie, la corruption généralisée et la gestion calamiteuse quasi-criminelle de l'épidémie du coronavirus font des ravages d'une ampleur sans précédent.
Pour s'assurer de la « homogénéité » de l'Etat, le guide suprême a choisi Ebrahim Raïssi, l'actuel chef du pouvoir judiciaire pour devenir le prochain président, le Conseil des gardiens ayant écarté, sur son ordre, la plupart des autres candidatures, dont des figures notoires comme Ali Laridjani, fidèle parmi des fidèles, un ancien officier supérieur du Corps des gardiens de la révolution, reconverti en politique avant d'assurer pendant douze ans la présidence du parlement.
Ebrahim Raïssi, connu pour son rôle clé en tant que procureur adjoint de Téhéran et membre du "comité de la mort" lors de la vague d'exécutions extrajudiciaires de dizaines de milliers de prisonniers politiques en 1988, a commencé son ascension dans la hiérarchie du régime en ordonnant d'autres exécutions au début des années 1980. N'ayant exercé aucune fonction élective ni exécutive et connu pour son traitement impitoyable de toute dissension, il a fait carrière dans l'appareil judiciaire dès l'âge de 19 ans ! Et a été impliqué directement dans la plupart des dossiers de violations des droits de l'homme du régime de Téhéran
Ce qui va se passer dans l'immédiat ? Avec la multiplication des appels au boycott, les responsables du régime qui ont désespérément besoin d'un semblant de légitimité électorale, expriment leur crainte concernant le boycott général de l'élection présidentielle, version 2021.
« Les tactiques de l'ennemi consiste à remettre en cause la structure du système (régime) et sa gestion, ainsi qu'à provoquer les opposants pour changer de régime et organiser des rassemblements pour protester contre la procédure de sélection des candidats, inciter les gens, en particulier les plus démunis, à agir contre le système et accuser les responsables politiques de ne pas vouloir résoudre les problèmes de la population », a écrit le 3 juin le quotidien influent « Javan », proche des Gardiens de la révolution.