L'Iran fragilisé par la nouvelle stratégie des Etats-Unis
François Colcombet pour la Tribune
En refusant de certifier le respect par l'Iran de l'accord nucléaire, de juillet 2015, sans toutefois formellement s'en retirer, le Président américain, Donald Trump, a opéré un tournant majeur dans la politique de son pays envers l'Iran.
Quelle que soit l'appréciation que l'on peut avoir sur la personne de Donald Trump, il faut prendre très aux sérieux ce changement de cap qui porte sur trois domaines : le nucléaire, les missiles balistiques et le terrorisme. Les Etats-Unis estiment que le « Plan d'action global commun » qui contrôle le programme nucléaire controversé du régime iranien n'est pas suffisant. Des amendements devraient s'y ajouter notamment pour permettre des inspections des sites militaires actuellement inaccessibles à l'AIEA. Cette mise en cause de l'accord inquiète l'Union européenne. Les deux autres domaines suscitent moins de réserves. La résolution 2231 du Conseil de sécurité demande l'arrêt des essais balistiques auxquels se livre le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), susceptibles de porter des ogives nucléaires.
La poursuite du programme balistique du régime et ses activités militaires dans la région et la volonté hégémonique du CGRI inquiètent, à juste titre, les Européens mais aussi les pays de la région. L'accord nucléaire de 2015 était censé, comme le précise son préambule, « contribuer positivement à la paix et à la sécurité au niveau régional et international ». Or les choses sont loin d'avoir évolué dans ce sens. Le CGRI et ses forces supplétives étrangères sont mêlés à tous les conflits de la région et commettent de nombreuses exactions.
L'inscription des Pasdaran sur une liste d'entités terroristes
C'est pourquoi le Département du Trésor américain - en conformité avec l'ordonnance présidentielle No13224 qui établit une liste des terroristes mondiaux, la SDGT ou Special Designated Global Terrorists - y a inscrit la totalité du CGRI. Cette liste est différente de celle des organisations terroristes étrangères (FTO) du Département d'Etat, mais elle est aussi lourde de conséquences. Il convient de rappeler ici que le CGRI se considère comme chargé d'une véritable mission mondiale de créer un « axe » allant de Téhéran jusqu'aux rives de la Méditerranée. D'ailleurs, le nom de l'Iran ne figure pas dans l'appellation du CGRI. Quant à « l'exportation de la révolution islamique », elle est inscrite dans la constitution de la République islamique. Selon une enquête du Comité international pour la recherche de la justice (ISJ) publiée par la FEMO, le régime s'ingère directement dans les affaires internes d'au moins 8 pays de la région. Bien que la théocratie iranienne fasse du prosélytisme chiite, elle n'hésite pas à soutenir les groupes extrémistes sunnites pour déstabiliser ses rivaux.
L'expansion du fondamentalisme est d'ailleurs une composante stratégique de sa sécurité. Ce thème est brillamment développé par Mehdi Abrichamtchi, dans son ouvrage « Gardiens de la révolution, une armée intégriste et terroriste » (éditions Jean Picollec).
Pasdaran et commerce international font bon ménage
Le CGRI n'est pas qu'une force militaire. Au moins 50% de l'économie iranienne est sous son contrôle. Selon les analystes, la part des Pasdaran dans le produit national brut (PNB) de l'Iran se situe à près des deux tiers, soit quelque 400 milliards de dollars. Des milliers d'entreprises sont des émanations du QG Khatam du CGRI, véritable trust et cerveau économique des Pasdaran. Il contrôle les secteurs les plus rentables, comme l'automobile et les hydrocarbures. La décision américaine fragilise donc inéluctablement les perspectives de contrats sans risques avec l'Iran. Le mythe d'un eldorado iranien maintenu pour attirer les investisseurs étrangers n'est qu'un leurre. L'économie iranienne est loin d'être une économie libérale où il serait bon d'investir. Il est bien difficile d'éviter les Pasdaran pour signer un contrat. Des grands groupes français risquent d'être pénalisés en raison de nouvelles sanctions qui visent le CGRI.
La décision américaine peut aussi contribuer à déstabiliser le régime. Ayant participé à étouffer les manifestations de 2009 et à réprimer toutes les voix discordantes pour préserver la théocratie, et impliqués dans des guerres si éloignées des préoccupations des Iraniens, les Pasdarans sont très impopulaires. Alors que ses commandants se sont enrichis, le peuple n'a pas vu venir les bienfaits économiques de l'accord nucléaire. Les villes iraniennes sont actuellement le théâtre de manifestations de personnes ruinées par les faillites de banques et de caisses d'épargne appartenant pour la plupart au CGRI. Ces malheureux reprochent au régime d'avoir gaspillé leurs économies en Syrie ou au Liban. Ils scandent « abandonne la Syrie, pense à nous ». L'opposition iranienne est bien consciente de cette isolement inéluctable des Pasdaran. Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), a ainsi approuvé la politique visant à « condamner les violations flagrantes des droits humains en Iran et à priver le régime iranien et notamment les Pasdaran de financement. »
Le Congrès américain pourrait encore se prononcer bientôt sur de nouvelles sanctions contre l'Iran. L'Europe perdrait d'investir sur une théocratie de plus en plus instable, faute d'écouter son peuple.
Il y a toutefois une convergence entre Américains et Européens sur la nécessité de contrer la menace balistique du régime et stopper ses ingérences dans la région. Le Président Emmanuel Marcon a ainsi souhaité que les pays occidentaux soient « beaucoup plus exigeants sur l'activité balistique de l'Iran et sur son action dans la région ». Mais, compte tenu de ce rapport de force défavorable au régime iranien, ce serait une faute stratégique grave de lui apporter, aujourd'hui, le soutien diplomatique que constituerait une visite présidentielle pourtant annoncée par l'Elysée. Pour être exigeant, il faut cesser de faire davantage de concessions au régime. La visite évoquée d'un président français en Iran serait un cadeau inutile à une théocratie en fin de parcours et isolé au sein de son propre peuple. Aucun président français n'a, jusqu'à présent, jugé nécessaire de donner ce gage à l'Iran des ayatollahs. Souvenons-nous que les concessions de Barak Obama sont allées à l'encontre de ses espoirs et ont contribué en définitive au désordre actuel.
(*) François Colcombet, ancien magistrat et député, est le président de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO) et co-auteur de « Où va l'Iran », éditions Autrement.