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MANIPULATION ET ELECTION QUI N'EN EST PAS UNE

GÉRARD VESPIERRE, fondateur du site "Le monde décrypté", chercheur associé à la FEMO

Le jeudi 28 mars 2024, s'est tenue à Paris une conférence à l'initiative de la Fondations d'Etudes du pour le Moyen-Orient (FEMO) sur désinformation comme moyen de survie pratiquée par le pouvoir iranien. L'intervention qui suit a été faite lors de cette conférence.

C'est un grand honneur de prendre ce soir la parole devant vous au sujet d'élections. Donc, effectivement, on va parler ensemble autour de ce qui s'est passé le 1er mars à Téhéran et dans tout le pays iranien. Il n'y a pas eu d'élections en Iran le 1er mars. Vous allez me dire : Gérard Vespierre, vous êtes apparemment un homme sérieux, on vous connaît depuis plusieurs années. Votre sujet d'intervention, ce sont les élections en Iran et vous nous dites d'entrée de jeu : il n'y a pas eu d'élections en Iran le 1er mars. Voulez-vous vous reprendre ? Je ne me reprendrai pas et je confirmerai, il n'y a pas eu d'élections en Iran le 1er mars. Parce que voyez-vous, chers amis, en français ou en persan, les mots ont un sens. Donc, le thème de la désinformation qui nous réunit aujourd'hui, ce soir, commence par le vol des mots. On nous vole nos mots. Une élection, cela repose fondamentalement sur l'Etat de droit. S'il n'y a pas d'État de droit dans un pays, il ne peut pas y avoir d'élections. Il peut y avoir des scrutins, il peut y avoir tout autre sorte d'opérations, mais il ne peut pas y avoir d'élections.

Réfléchissons ensemble. L'élection demande, requiert, exige une liberté d'opinion, une liberté d'expression de cette opinion. Est-ce que nous avons ça au Kremlin, à Moscou ou à Téhéran ? Non. L'élection, deuxièmement, requiert la liberté de candidature. Moi, je suis candidat, je veux me présenter. Allez-y, chère madame, cher monsieur. En Iran, l'ancien président de la République, Rohani,

n'a pas pu se présenter aux élections du Conseil des experts. Donc, nous marchons sur la tête, n'est-ce pas? Et troisièmement, l'Etat de droit requiert le contrôle dans une élection. Il peut y avoir des fraudes, il peut y avoir des erreurs. Donc, il faut avoir la possibilité d'intervenir et de contrôler en dehors de l'appareil d'État ou pour l'accompagner.

Donc, que ça soit en Russie ou en Iran, et là, nous nous occupons du 1er mars, sinon pas du 17, il ne peut pas y avoir un usage de notre part, à nous démocrates – c'est une expression fondamentale de la charte du CNRI, il faut le faire savoir auprès des médias et des relais politiques – nous n'avons pas le droit d'utiliser le terme d' "élections". Parce que si vous l'utilisez, ça veut dire que vous videz le mot élection de son sens. Il faut connaître une parole fondamentale prononcée à Moscou – au mois de mai l'année dernière – par un homme important, M. Lavroff. Il a dit: Nous sommes dans vos têtes beaucoup plus profondément que vous ne le croyez. Cela veut dire qu'ils nous envoient nos mots avec un contenu différent. On fait des élections, mais sans liberté d'opinion, on fait des élections sans liberté de candidature, on fait des élections sans contrôle de la part du peuple et des partis politiques. Donc, c'est absolument fondamental, il ne faut pas parler d'élections. Nous devons nous discipliner. On peut parler peut-être de scrutin, de référendum, puisqu'il s'agit de dire oui ou non à un candidat, il n'y a qu'un candidat, pratiquement. Donc, ça, c'est fondamental. On peut parler de confirmation électorale : oui, je confirme que je veux bien ce monsieur comme représentant, comme député de mon district. Ou bien un petit peu d'humour ou de clins d'oeil,

on peut parler « d'électure », puisqu'on parle de démocrature, de démocratie et de dictature condensée. Donc, « électure » en démocrature, peut-être. En tout cas, je pense, pour le futur, que nous devons nous discipliner complètement à l'usage de ce mot et du contenu que cela implique.

Troisièmement, la désinformation, qui est au centre de notre réunion aujourd'hui, est totale. On ne s'intéresse même pas aux résultats des candidats. Ça n'a pas d'importance puisque pratiquement, il n'ya des candidats. Seul compte le taux de participation qui a été effectivement mis en avant, qui est essentiel pour le pouvoir. Et ça, c'est très important à noter, parce que cette orientation a été donnée par le guide suprême lui-même.

Si vous ne votez pas, vous votez pour l'ennemi. Ce sont les mots mêmes de Khamenei, ce qui est très étonnant, parce que ça veut dire qu'il se mettait lui-même dans l'impasse. Le chiffre officiel de 41% est absolument déconnecté de la réalité. Il est simplement 1% en dessous du scrutin d'il y a quatre ans.

Donc, vous voyez, il n'y a pratiquement pas de différence, mais il ne repose sur rien puisque certains députés à Téhéran ont été élus avec 8% des voix, d'autres à Chiraz avec 5%. Or, des observateurs très systématiques que sont nos amis du CNRI et de l'OMPI présents sur le terrain en Iran, dans 1941 bureaux de vote, ont pu faire des analyses et des projections qui aboutissent à moins de 10% de participation nationale. Donc, on est dans le mensonge. Ce qui est important, c'est de communiquer des chiffres, 41%, pour qu'ils puissent être ensuite relayés, même ici. Le mensonge est diffusé. Ce scrutin a de lourdes conséquences pour le régime.

Parce qu'effectivement, le peuple n'a pas voté. Donc, le peuple qui était présenté comme potentiellement allant vers l'ennemi, c'est donc l'ennemi qui a gagné. Si vous ne votez pas, vous votez pour nos ennemis. Donc, le peuple iranien a voté pour les ennemis du régime. Voilà politiquement ce qu'il faut comprendre, ce qu'il faut en conclure. Donc, le pouvoir, à nouveau, a été pris dans le mensonge, avec ce chiffre farfelu de 41%.

Et maintenant, d'un côté, il y a le pouvoir religieux et de l'autre côté, il y a le peuple. Il y a cette séparation. Et cette séparation est pratiquement institutionnalisée, maintenant parce qu'il y a eu un scrutin. Ce ne sont pas des mots de journalistes, ce n'est pas une émission de télévision, c'est un scrutin national où le monde entier a assisté au divorce du peuple ou de la grande majorité du peuple iranien avec le pouvoir religieux radical. Fantastique nouvelle. On anticipe aucune amélioration économique et sociale possible dans le futur dans le pays. On voit là que nous sommes dans une situation extrême où chaque nouvelle étincelle pourra provoquer une explosion à nouveau sociale, n'importe quel événement, éventuellement, la disparition du guide de 84 ans.

Un dernier point, en France effectivement, il y a des groupes d'influence, des think tanks, des experts, des avocats qui sont des avocats d'affaires très nombreux à Paris et qui prospèrent dans le commerce gris entre la France et l'Iran. Ils ont une influence dans tous les cercles, les journalistes et le personnel politique dont on vient de parler. Il y a un certain nombre de personnes très connues. Thierry Coville, nous n'avons pas peur de mentionner des noms, de l'IRIS, Bernard Hourcade, qui vient du CNRS, directeur émérite du CNRS ! Ils sont reçus à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale !

Ils colportent bien sûr les résultats déconnectés de la réalité des 41% et aussi, l'idée que le régime iranien est spectateur de la situation au Moyen-Orient. Le régime iranien, bien sûr, n'est pas derrière les Houthis, il n'est pas derrière le Hamas, il n'est pas derrière le Hezbollah, il n'est pas derrière les milices en Irak, il n'est pas derrière les milices ou même présent directement en Syrie. Il est spectateur.

Or le régime iranien n'est nullement spectateur, il est totalement acteur. Le réel finit toujours par s'imposer par rapport aux fausses idées.

La réalité en Iran est que depuis le 1er mars, malgré ce que peuvent répandre les réseaux d'influence, le régime et la majorité du peuple iranien se font face, et risquent de s'opposer de nouveau prochainement l'un à l'autre.

Je vous remercie de votre attention.