Tir d’un missile balistique en Iran: que faire du régime des mollahs?
Hassan Rohani le 22 septembre 2017 à Téhéran. STR / AFP
Par Jean-Sylvestre Mongrenier le 25.09.2017 à 12h39
Le géopolitologue Jean-Sylvestre Mongrenier estime "que le régime iranien
se positionne à la croisée des politiques de puissance de la Russie et de la
Chine populaire, deux pays qui remettent en cause les institutions
multilatérales et le droit international".
Alors que la crise nucléaire nord-coréenne s'aggrave chaque jour, le régime nord-coréen semblant échapper au contrôle de ses protecteurs chinois et russes, le tir d'un missile balistique par Téhéran rappelle la réalité de la menace que Téhéran fait peser sur l'ensemble du Moyen-Orient, de l'océan Indien à la Méditerranée orientale, voire au-delà. A l'évidence le régime chiite-islamique, qui préside aux destinées d'un pays et d'une population aux riches virtualités, ne constitue en rien un " partenaire ", fût-il " problématique " (selon les termes d'un diplomate français), mais un adversaire redoutable. Le pari occidental sur l'aspiration iranienne à la modernité et le " pragmatisme " de la classe dirigeante de ce pays (pragmatisme étant trop souvent confondu avec modération), les puissances occidentales ne pourront longtemps encore éviter les questions de fond.
Un accord nucléaire notoirement insuffisant
Face à l'Administration Trump, qui juge que le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action), i.e. l'accord nucléaire iranien signé le 14 juillet 2015, est mauvais, les Européens insistent pour que ce texte soit maintenu et respecté. On sait que le président français, Emmanuel Macron, lors de sa rencontre avec son homologue américain, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, a insisté sur les vertus de cet accord (New-York, 18 septembre 2017). Les autorités britanniques et allemandes ainsi que le Haut-Représentant de l'Union européenne sont au diapason. Et Hassan Rohani, le président iranien (placé sous l'autorité du Guide de la Révolution), lors de son discours à l'ONU, d'exploiter cette ligne de partage entre les Etats-Unis et leurs principaux alliés européens.
Force est pourtant de prendre en compte le point de vue américain, plus encore si l'on rapporte le contenu de l'accord nucléaire iranien aux objectifs posés au commencement du conflit avec Téhéran, à savoir le strict respect du TNP (Traité de non-prolifération, 1968) et le refoulement des ambitions iraniennes en matière d'enrichissement. A l'issue de cette négociation entamée alors que le programme de sanctions mettait véritablement à mal le régime et son économie, Téhéran a pu préserver l'essentiel de son infrastructure nucléaire et s'est vu reconnaître un chimérique " droit à l'enrichissement ". En contrepartie d'un régime d'inspection qui prendra fin en 2025, les sanctions financières et autres doivent être levées.
Les partisans de l'accord soulignent l'importance du régime d'inspection et les rapports positifs de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) quant à son application. Encore faut-il préciser que certains sites militaires et centres de recherche demeurent fermés aux inspecteurs dépêchés sur place. Par ailleurs, l'AEIA n'est pas habilitée à donner un quitus à Téhéran. Elle agit en tant que bras séculier de la commission conjointe mise en place dans le cadre du JCPOA. Si l'une des parties prenantes (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies plus l'Allemagne) juge que l'accord n'est pas respecté, elle peut saisir le Conseil de sécurité.
Soutien au sectarisme du pouvoir chiite irakien
Au total, qu'en est-il en l'état actuel des choses? S'il semble que Téhéran respecte globalement la lettre de l'accord, des zones d'ombre doivent encore être explorées. Par ailleurs, le régime iranien ne respecte aucunement les termes de la résolution 2231 (20 juillet 2015) qui approuve le JCPOA. Il y est en effet précisé que Téhéran doit renoncer à un programme balistique axé sur la construction de missiles de moyenne et longue portée. Les efforts déployés en ce domaine suscitent nécessairement le doute. Le gel de dix ans du programme nucléaire iranien ne serait-il pas mis à profit pour parfaire les lanceurs d'une future force de frappe? Passée l'année 2025, Téhéran n'aurait plus qu'à franchir l'ultime étape avant acquisition de l'arme nucléaire (le délai nécessaire serait de six mois), puis à assembler vecteurs et ogives.
De surcroît, Téhéran manifeste un irrespect total à l'égard d'un texte censé " contribuer positivement à la paix et à la sécurité de la région ". Le pari de Barack Obama sur l'amélioration des relations bilatérales, des pressions de l'Iran sur Bachar Al-Assad, une autolimitation sur le plan régional, voire la prévalence des objectifs de développement et de bien-être sur une politique de puissance, est d'ores et déjà perdu ; les espoirs investis dans cet accord se sont envolés. Les soutiens de ce texte en conviennent eux-mêmes.
Outre le fait que le soutien iranien au sectarisme du pouvoir chiite irakien explique en partie le surgissement de l'" Etat islamique ", rallié par nombre des Arabes sunnites faisant les frais de cette politique, Téhéran a pour objectif de dominer l'ensemble du Moyen-Orient, de la Caspienne et du golfe Arabo-Persique jusqu'à la Méditerranée orientale. Les généraux des Gardiens de la Révolution (les Pasdarans) se vantent aujourd'hui de contrôler quatre capitales arabes (Bagdad, Beyrouth, Damas et Sanaa) et Téhéran dispose désormais d'un " pont terrestre " (" landbridge ") sur l'isthme syrien qui lui donne accès à la Méditerranée. Présenté dans les années 2000 comme une fantasmagorie, le " croissant chiite " a pris la forme d'un corridor.
Confronté à ces agissements et aux menaces directes qui pèsent sur Israël et les régimes arabes sunnites de la région, Donald Trump serait prêt à dénoncer l'accord nucléaire iranien. Le président des Etats-Unis doit notifier au Congrès le bon respect du JCPOA, tous les trois mois, et la prochaine échéance est fixée au 15 octobre 2017. Avec de solides arguments, les alliés européens, s'ils conviennent de l'imperfection du texte, soulignent les risques liés à la disparition de ce cadre juridico-diplomatique. Evoquant la possibilité d'une " Corée du Nord au Moyen-Orient ", ils arguent que le mieux est l'ennemi du bien.
Une puissance révisionniste
Ainsi Emmanuel Macron propose-t-il de conserver le JCPOA et donc, de continuer à lever les sanctions financières et économiques, et de négocier sa prolongation après 2025, afin que le renoncement iranien à l'arme nucléaire soit une réalité de longue durée. Par ailleurs, il faudrait étendre ces négociations au programme balistique et obtenir un engagement similaire de la part de Téhéran. Idem pour l'avenir de la Syrie et les ambitions régionales iraniennes dans la région. La réunion de toutes les parties prenantes dans le conflit syrien dans un " groupe de contact " afin de relancer les négociations de Genève (sur la base de la résolution 2254, 9 décembre 2016) serait aussi le moyen d'amadouer le régime iranien et de le transformer en puissance responsable.
En vérité, ce serait la solution la plus adéquate, susceptible d'endiguer cet Etat perturbateur qu'est l'Iran et de maintenir un front occidental. Le problème réside dans le fait que le régime iranien s'inscrit en faux contre de tels efforts. Il poursuit avec constance l'objectif de dominer le Moyen-Orient, en s'appuyant notamment sur le Hezbollah et diverses milices panchiites, et il ne cesse de réaffirmer, en paroles et en actes, le droit de développer son programme balistique. Il n'est pas non plus question à Téhéran d'envisager une perpétuation du JCPOA au-delà de 2015 et, si toutes les sanctions sont levées d'ici là, quelles seraient les contreparties et pourquoi donc ce régime accepterait-il un tel carcan ?
Il semble qu'Emmanuel Macron, qui cherche à tâtons la voie d'une politique française rénovée au Moyen-Orient, manifeste une confiance excessive dans ce que les diplomates nomment les " ambiguïtés constructives ". En écartant les points qui fâchent, le " dialogue " aurait pour vertu de faire oublier aux dirigeants iraniens leurs objectifs et de les conduire là où ils n'entendent pas spontanément se rendre. Selon toutes probabilités, une telle négociation achopperait très vite sur la question des missiles. Sauf à entériner le programme balistique iranien, la levée des sanctions au titre du JCPOA serait contrebalancée par d'autres mesures visant à contrer ledit programme. Et nul ne doute que Téhéran ne se satisfasse pas de ce tour de passe-passe.
Quelles intentions?
Tout au plus cette ligne d'action (perpétuation de l'accord sur le nucléaire et amorce de négociations sur les missiles balistiques et la situation géopolitique régionale) permettrait-elle de maintenir la cohésion des puissances occidentales et de gagner du temps, ce qui serait déjà beaucoup. S'il est utilisé avec intelligence et détermination, le temps conféré par le maintien du JCPOA et l'ouverture de ces négociations, probablement vouées à l'impasse, permettrait aux Occidentaux de s'accorder et de préparer des contre-mesures.
A contrario, ce schéma diplomatique ne doit pas nous détourner du problème géopolitique de fond : les intentions stratégiques du régime iranien et ses convergences avec des puissances révisionnistes décidées à renverser l'ordre international, condamné comme expression de la longue hégémonie occidentale. Passions tristes et revanchisme ne sauraient être négligés.
En alliance avec Moscou, Téhéran a pris en main une large partie de la Syrie et dispose d'importantes forces au sol. Les Pasdarans et le Hezbollah seront bientôt capables d'ouvrir un nouveau front contre Israël - sur le Golan, en plus du Liban-Sud -, et revendiquent une base navale sur le littoral syrien. A quand le lancement de roquettes et des attaques terroristes sur les installations destinées à exploiter les gisements de gaz du bassin levantin (Méditerranée orientale)? A brève échéance, l'Europe sera à portée des coups iraniens, sans même parler des développements du programme balistique.
Sur le plan mondial, le régime iranien se positionne à la croisée des politiques de puissance de la Russie et de la Chine populaire, deux pays qui remettent en cause les institutions multilatérales et le droit international (annexion de la Crimée pour l'un, poldérisation de la " Méditerranée asiatique " pour l'autre). L'Iran est désormais le grand " ami " de Moscou au Moyen-Orient et le partenariat géopolitique mis en place dans les années 1990 est désormais une véritable alliance politico-militaire. Quant à Pékin, il considère le pays comme le nœud de son programme de " nouvelles routes de la soie ", au carrefour du Moyen-Orient, de l'Europe et de l'Asie centrale. Bref, le régime iranien est partie prenante d'un consortium de puissances révisionnistes opposées à l'Occident. Et les propos suaves d'Hassan Rohani ne visent qu'à introduire un coin entre Européens et Nord-Américains.
Concevoir une politique moyen-orientale plus ambitieuse
En conclusion, il est probable que le régime iranien poursuive sa marche en avant, avec tous les effets directs et indirects que cela implique sur la " plus Grande Méditerranée " et l'Europe toute proche ainsi que sur l'ordre international. Atermoiements, circonvolutions et faux espoirs ne sauraient nous dissimuler le danger d'une déflagration générale au Moyen-Orient, alors même que les enjeux se précipitent simultanément en Extrême-Orient. Dans cette affaire, les Occidentaux sont confrontés à des " antinomies historiques " : il n'y a pas une solution tout à la fois bonne, économique et pacifique. Que l'on précipite la réponse aux menaces ou reporte l'échéance, " dialogue ", sanctions et forces de procuration ne suffiront pas. Il faut lever un certain nombre de contradictions, chercher des points d'appui solides, s'engager et " travailler " la population iranienne, qui mérite mieux que ce régime liberticide et belliciste. Bref, concevoir une politique moyen-orientale autrement plus ambitieuse, cohérente et volontaire.
Jean-Sylvestre Mongrenier, Chercheur à l'institut Français de Géopolitique (Paris VIII) et Chercheur associé à l'Institut Thomas More
Source: ChallengesEntrez