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Une diplomatie de la complaisance coriace

Par Rasoul Asghari* 28 / 10 / 2023

Le soulèvement qui a débuté le 16 septembre dernier et s'est étendu à tout l'Iran pendant des mois, a non seulement ébranlé le fascisme religieux mais a suscité aussi la surprise et l'interrogation en Occident : quel remplacement pour la théocratie iranienne ; quelle direction prendra l'évolution géopolitique dans la région ? A mesure que le soulèvement a progressé et que la tendance au renversement du régime s'affermissait - éloignant toute illusion de réforme, les questions sur l'avenir de l'Iran se sont posées avec une plus grande acuité, notamment la question de «l'alternative».

Dans la première partie de notre article nous aborderons les grandes lignes de confrontation entre les pays européens et américains en lien avec le soulèvement de novembre 2022. On abordera une aberration politique nommé politique de complaisance et du statu quo ; une politique erronée promue par les ministères des Affaires étrangères et les chancelleries. Nous verrons les vicissitudes qui ont présidées leurs efforts pour influencer le cours des évènements en Iran.

Dans la deuxième partie, nous examinerons les acquis durables de la révolution démocratique iranienne, produit de l'impact direct du soulèvement sur l'opinion publique mondiale. Enfin, il s'agira d'expliquer pourquoi la République islamique ne pourra revenir à l'équilibre d'avant novembre 2022 ?

« Le maintien de la politique du statu quo », ou « l'accompagnement du mouvement pour le changement après la cassure de l'équilibre politique causé par le soulèvement » ou « le retour au temps des régimes révolues », voilà trois scénarios qui se présentaient à la politique étrangère occidentale.

Ceci dans un contexte où les européens s'entêtent à refuser d'inscrire les pasdaran (Corps des gardiens de la révolution islamique, CGRI) sur la liste des entités terroristes, cèdent devant la politique des otages des pasdaran, libèrent un diplomate-terroriste iranien condamné à 20 ans de prison dans des accords en coulisses avec les mollahs, cèdent aux pressions pour limiter les activités du principale mouvement de résistance (OMPI), donnent aux mollahs des milliards du peuple iranien pour le dépenser dans le terrorisme régional et la répression en interne. Pour compléter la liste, Enrique Mora, secrétaire général adjoint de Josep Borrell, souligne qu'il n'y a pas d'autre choix que d'accepter le défaillant JCPOA (accord nucléaire avec les mollahs).

Comme l'a prétendu récemment, à l'ONU, Ebrahim Raïssi, président iranien et ancien juge de la commission de la mort qui dirigea le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988, pouvons-nous affirmer que le régime des mollahs a résisté aux tempêtes ? Une revendication que promeut le réseau de journalistes et de chercheurs pro-régime iranien dans les capitales occidentales.

Les chanceliers occidentaux sont bornés à leurs calculs basés sur un rapport de force immuable à leurs yeux. Ils sont obnubilés par leur business et cherchent des solutions provisoires et des avantages à court terme. Ces diplomates accros de la politique de complaisance, prennent systématiquement le parti du pouvoir en place. Passés maîtres dans l'art de justifier leur opportunisme politique, ils brandissent insolemment la logique de la realpolitik.

« La diplomatie de certains pays occidentaux en soutenant un programme réactionnaire, a fait obstacle au mouvement populaire iranien »

Épisode 1 : Sortir de la léthargie

Si les dirigeants du régime vivent avec le cauchemar de l'irruption de nouvelle révoltes populaires, les diplomates occidentaux observent l'issue des événements avec confusion et attentisme. N'ayant pas vu venir la vague du soulèvement qui s'est propagées à plus de 160 villes d'Iran, ils n'ont que prudemment et avec faiblesse condamné la violence du régime fascisant.

Les manifestations se sont poursuivies au prix du sacrifice immense des manifestants et le leadership des femmes iraniennes. Leurs persévérances courageuses ont inévitablement créé des fissures dans le mode de pensée et l'analyse de diplomates profondément accros de la politique de complaisance. La radicalité du soulèvement et la force de ses revendications a transformé les fissures en brèches tangibles. La formation d'une commission d'enquête sur les violations des droits de l'homme en République islamique lors des récentes manifestations, approuvée par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies le 24 novembre 2022, peut être analysée dans ce cadre. Ainsi que l'expulsion de l'Iran de la Commission des Nations Unies sur les femmes, le 14 décembre de la même année.

En janvier et février 2023, le ton des gouvernements contre le régime se durcit et s'accompagne de sanctions. Cela se renforce avec un débat sur la nécessité de placer le CGRI sur la liste terroriste de l'Union européenne, de la Grande-Bretagne et du Canada. Fait inédit : le 19 janvier 2023 le Parlement européen, à l'écrasante majorité de ses membres, a exigé l'inscription du CGRI sur la liste terroriste de l'Union européenne. Ce que le Conseil des gouvernements européens a ensuite refusé de faire.

Épisode 2 : bricoler des alternatives

Le soulèvement ne s'est pas arrêté, de nouvelles formes de protestations ont été tentées partout en Iran. Les masses ne reculant plus devant le danger d'être arrêté, torturé ou tué, étaient déterminées à régler des comptes historiques avec le régime. Pour la première fois, la conviction que le régime pouvait être renverser coulait dans les veines des Iraniens. L'impuissance du régime face au courage des manifestants a lentement opéré un changement dans le regard des politiques occidentaux. Reprenant leurs esprits, ils ont vu que « la peur avait changé de camp » et qu'il s'agit d'un régime instable, avec un éventuel révolte populaire de grande ampleur qui peut emporter le régime à tout moment.

C'est ici que se pose la question de l'alternative à ce régime cruel. Il est clair que l'image de l'Iran de demain sera façonnée par la force qui pourra renverser le régime. Lorsque nous évoquons la question de l'alternative, nous parlons en réalité de la qualité de son action et ses méthodes pour réaliser le renversement. Les soulèvements successifs des dernières années, outre leurs étendus et leur perpétuation, ont toujours eu le changement de régime en mire. En même temps, ils pointaient vers la seule force organisée qui promeut le changement révolutionnaire. Lorsque l'on suit les traces de cette force, on arrive à l'incontournable Organisation des Moudjahidine du peuple d'Iran (OMPI).

Ceux qui sont au fait des forces politiques iraniennes, savent que la stratégie de l'OMPI a été de défier le régime à travers l'expansion des unités de résistance qui visent les centres de répression et les symboles du régime dans les villes iraniennes.

En Iran il est interdit de prononcer le nom des Moudjahidine du peuple et l'idée du changement de régime est un crime. C'est quelque chose que la diplomatie occidentale a bien compris et l'a amené à prendre ses distances avec cette ligne rouge. Elle a évité de fâcher le régime qui a une règle non écrite pour la diplomatie de complaisance : « Si vous voulez fréquenter le régime des mollahs, considérez les moudjahidine du peuple comme infréquentable. »

Au lieu d'acquiescer la réalité de la rue iranienne, la diplomatie occidentale s'est tournée vers le bricolage de supposés alternatives pour le régime. La première fonction de ce bricolage était d'avoir des individus de confiance pour demain et lancer ceux qui pourraient éventuellement jouer un rôle dans l'Iran de demain dans le but d'obtenir des privilèges et de la complicité.

La rencontre de chefs d'État et de responsables européens et américains avec ceux que les médias ont décrits comme les représentants des Iraniens de la diaspora, ou la prise de position du président français qui a qualifié le mouvement en Iran de révolution, ce sont des actions louables. Mais lorsque l'on prête attention à la composition de ces formations – qui n'ont ni organisation, ni stratégie et ni la volonté de renverser le régime – il y avait un message caché pour Téhéran : Nous ne parlons pas de changement de régime, nous ne ciblons pas le principal organe de répression, à savoir le CGRI, nous respectons vos lignes rouges... on attend donc vous ...

Les médias se sont alors engagés à promouvoir des athlètes, des actrices et des influenceurs Internet en tant que dirigeants de la révolution iranienne. Ces derniers réduisaient généralement l'aspiration du peuple iranien au changement de régime à une simple question d'opposition au hijab obligatoire ou une opposition à la religion. Surtout, tous convenaient qu'il n'y avait pas d'alternative au régime, ni de leadership à la tête du mouvement révolutionnaire. Par-dessus tout, les médias de langue persane, affiliés aux divers gouvernements, dans une action coordonnée, ont appliqué la plus grande censure du siècle contre l'OMPI et Conseil national de la résistance iranienne (CNRI). C'est-à-dire contre la seule alternative iranienne viable et respectée.

Par contre, on n'a pas hésité à affubler le fils de l'ancien dictateur iranien du titre de « prince héritier », et à brandir les tenants de la monarchie comme l'avenir de l'Iran. Ce n'était au mieux une version médiocre de l'épisode « Mohammad Khatami », l'ancien président du régime, qu'on a vendu pendant des années à l'opinion publique occidentale comme un prophète de réforme et de modération. Si l'émergence de Khomeiny a été un anachronisme historique, le retour de la monarchie déchue a été perçu comme foncièrement contre-historique. Mais la mise en vente d'un tel produit, du moins en France, qui a rejeté le despotisme monarchique il y a plus de deux siècles, ne peut être que pure plaisanterie.

Le point culminant de la construction d'alternative a été le 17 février 2023, lorsque le fils du chah s'est trouvé aux côtés d'une animatrice de télévision controversée et une actrice, à la Conférence de Munich sur la sécurité, où il avait été invité au lieu des représentants du régime. Reza Pahlévi a une stratégie bien détaillée : réaliser une transition au sein de la République islamique en créant une alliance avec les pasdaran ! Une stratégie baroque qui rend service au régime qui cherche à freiner le mouvement révolutionnaire et n'a pas lésiné à infiltrer profondément ses opposants et particulièrement la mouvance monarchique.

Cette invitation lancée par certaines factions du corps diplomatique européen avait un message : l'Occident ne soutiendra pas le changement de régime en Iran et maintiendra ses distances avec l'opposition « subversive » et la véritable alternative, le CNRI. En soutenant ce genre de programme réactionnaire, l'Occident n'a fait en réalité que desservir le mouvement du peuple iranien.

« Les gouvernements occidentaux, malgré beaucoup de bruit, n'ont fourni aucune possibilité réelle aux opposants du régime »

Épisode 3 : Factory Reset !

S'ils ont fait beaucoup de bruit, les gouvernements occidentaux n'ont en réalité fourni aucune aide tangible aux opposants iraniens. Leurs considérations pour le soulèvement du peuple iranien et les rares sanctions contre le régime avaient également d'autres motivations. Car, cette fois les développements en Iran se sont déroulés dans un contexte international particulier et coïncidaient avec l'échec des négociations nucléaires et la participation de Téhéran à la guerre contre l'Ukraine, avec l'envois d'armes et de drones suicides à la Russie. On a pu mesurer combien les activités destructrices du régime menaçaient désormais les frontières mêmes de l'Europe.

Le 26 mai 2022 peut être considéré comme la date officiel de la marche à rebours du train diplomatique européenne et américaine sur la ligne de la complaisance : Assadollah Assadi, un diplomate-terroriste iranien condamné à 20 ans de prison en Belgique pour tentative d'attentat à la bombe contre une conférence du CNRI à Villepinte, Paris-Nord, a été libéré et immédiatement envoyé en Iran où il a été accueilli avec louanges par les mollahs.

Les évènements se sont alors accélérées : le 19 juin la police française a interdit le rassemblement annuel du CNRI. Cette interdiction est intervenu quelques jours après l'entretien téléphonique de 90 minutes entre le président français et son homologue iranien. (La résistance iranienne a finalement réussi à tenir son rassemblement grâce à un décision du tribunal de Paris)

Un jour plus tard, le 20 juin, un millier de policiers albanais ont attaqué le siège de l'OMPI à Achraf 3, en Albanie. Un membre des Moudjahidine, Ali Mostashari est décédé et 100 autres personnes ont été blessées lors du coup de force de la police albanaise qui a confisqué plus de 150 ordinateurs des militants iraniens. L'OMPI était soupçonné « d'activités politiques contre le régime de la République islamique d'Iran ». Une attaque qui n'était clairement pas possible sans le feu vert des États-Unis. Par la voix de son porte-parole, le Département d'État américain a assuré que « les actions de la police albanaise ont été menées conformément aux lois et en respect des droits et libertés individuels ». Le lendemain, le Département d'État américain, dans un geste amical envers les mollahs, a annoncé qu'il ne reconnaissait pas la représentativité de l'OMPI.

En septembre dernier, les révélations qui ont éclaboussé le réseau de lobbying de la République islamique aux plus hauts instances décisionnelles du gouvernement américain (y compris au cœur du Département d'Etat et du Pentagone), ont mis à nu les motivations et les racines profondes de ce genre de prise de position.

Les gestes de bonne volonté se ont accélérés : La reprise de dialogues secrets avec les États-Unis, la libération de l'argent bloqué du régime, dont six milliards de dollars en Corée du Sud, en échange de la libération de cinq otages américains emprisonnés en Iran.

Pour résumer ce que la diplomatie occidentale a réalisé, il est révélateur de citer Ali Bagheri, adjoint politique du ministère iranien des Affaires étrangères et responsable des négociations sur les armes nucléaires. Ce dernier a admis que les changements dans la politique étrangère du régime iranien au cours de l'année écoulée, c'est-à-dire la reprise des négociations avec les États-Unis et la normalisation des relations avec Ryad, avaient été entrepris en réponse aux troubles de l'année dernière qui ont ébranlé les fondements du régime en Iran.


*Rasoul Asghari analyste à la FEMO, est journaliste iranien en exil, spécialiste de l'économie politique.