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VISER LE RÉGIME AU LIEU DE SON OPPOSITION

INGRID BETANCOURT Ecrivaine, ancienne candidate à la présidentielle de Colombie 

Le jeudi 28 mars 2024, s'est tenue à Paris une conférence à l'initiative de la Fondations d'Etudes du pour le Moyen-Orient (FEMO) sur désinformation comme moyen de survie pratiquée par le pouvoir iranien. L'intervention qui suit a été faite lors de cette conférence.

Il faut réfléchir dans le contexte de ce qui se passe dans le monde. L'Iran a mis en place une stratégie de conquête, non seulement territoriale, mais aussi mentale de l'opinion publique pour défendre ses intérêts. C'est un pays qui a des visions territoriales de dominance et qui a beaucoup d'argent. Il y a le pétrole, évidemment. Je crois que c'est intéressant de voir que d'autres régimes autocratiques dans le monde qui partagent cette même force financière du pétrole, je parle de la Russie, du Venezuela, ont copié et copient les façons de faire de l'Iran.

Je crois que pour nous, démocrates dans le monde, il est très important de comprendre comment ça fonctionne et d'ouvrir les yeux pour être alertes et ne pas tomber dans des manipulations de nos opinions sans être véritablement conscients de ce qui nous arrive.

Je vais peut-être commencer par vous raconter mon approche à ce mouvement d'opposition, de résistance iranienne, qu'est l'OMPI ou le MEK. J'ai été invitée par eux à la sortie de ma captivité, deux ans après ma libération. D'ailleurs, la première fois que j'ai participé à un de ces colloques, c'était ici en France, à Paris, à la Maison de la Mutualité. Il y avait à ce moment-là, quelqu'un qui, pour moi, était très important, Elie Wiesel, qui avait préfacé un livre qu'avaient écrit mes enfants pour obtenir ma libération. Donc, j'étais très sensible à la présence d'Elie Wiesel. Puisqu'Elie Wiesel était là, je me sentais très confortable d'être là, moi aussi, et donc de parler, de défendre les droits et les libertés du peuple iranien. À la sortie de cette conférence, j'étais toute nouvelle dans le net, c'est-à-dire que ça faisait très peu de temps que j'avais un compte sur Internet. J'étais en train de m'organiser, de comprendre ce monde que je découvrais. J'avais été kidnappée en 2002, jusqu'en 2008, et avant ma séquestration, l'Internet n'existait pratiquement pas. Quand je sors dans ce monde où il y a des téléphones intelligents, je dois me mettre un petit peu à le découvrir et je faisais mes premiers pas là-dedans.

J'ai été très surprise de voir que 24 heures après la conférence, j'ai été envahie de messages de tout bord, qui m'arrivaient dans mes emails, mais qui apparaissaient aussi lorsque je faisais des recherches sur Google, sur n'importe quoi. Tous ciblaient cette organisation avec laquelle j'avais été 24 heures auparavant, l'OMPI. Là, par curiosité, je suis allée voir et je découvre qu'il est dit de diverses façons, diverses sources, que c'est une organisation communiste, que c'est une organisation terroriste et que c'est une secte, que c'est un culte à la personnalité d'une personne que j'avais donc vue lors de cette rencontre. Je laisse les choses telles quelles.

Le temps passe et je suis réinvitée à une autre conférence par la même organisation. Et là, je me dis : je vais quand même y aller avec les yeux ouverts. Je veux comprendre qui ils sont. J'ai pris sur moi de parler avec tout le monde. Quand je dis tout le monde, ce n'était évidemment pas possible parce qu'il devait y avoir 30 000 personnes. Mais j'ai quand même réussi à parler d'abord avec les personnes qui étaient dans la foule, les gens qui étaient là, l'audience, savoir d'où ils venaient, pourquoi ils étaient là, qu'est-ce qu'ils soutenaient. Ensuite, j'ai parlé effectivement avec les organisateurs, les femmes et les hommes de cette organisation, les femmes, parfois avec leur foulard, d'autres sans foulard, mais définitivement une organisation. Il était clair qu'il y avait une organisation.

J'ai parlé aussi beaucoup avec Maryam Radjavi, la présidente de ce mouvement et la présidente aussi du Conseil national de la Résistance iranienne. J'ai ouvert cette porte et j'ai commencé à essayer de comprendre de quoi il s'agissait. J'avais quand même une expérience personnelle. C'était celle d'avoir vécu six ans et demi avec un groupe terroriste, puisque j'avais été kidnappée par les Farc et que je savais parfaitement quelle est la mentalité d'un groupe terroriste, comment ils s'organisent, comment ils agissent et comment ils s'entourent. Je crois que pour moi, une grande indication de qui nous sommes, c'est avec qui nous sommes.

Durant toutes les années où j'ai accompagné cette résistance iranienne, j'ai eu le plaisir de côtoyer des personnes extraordinaires, toutes comme moi, véritablement engagées dans une lutte pour la liberté, pour les droits des femmes et des hommes dans le monde. Et j'ai pu comprendre de vive voix et de première main, qu'en fait, tout le temps, de façon systématique, il y avait une propagande, une campagne de diffamation contre toutes les personnes, les personnalités qui agissaient de façon constante en appui et en soutien de l'organisation. Systématiquement, nous étions tous ciblés, soit de critiques, soit avec de la désinformation, soit avec des manipulations de tous genres. À partir de là, je me dis que ça, c'est quelque chose sur lequel je veux m'investir, je veux comprendre et je veux faire des recherches. Il se trouve qu'en septembre 2023, il n'y a pas très longtemps, une information est apparue et que l'on pourrait cataloguer de Iran Leaks (fuites d'Iran), dans le jargon d'aujourd'hui. Ces Iran Leaks, très intéressantes, montraient toute une série de courriels, d'emails, de messages qui avaient été récupérés d'une base de données et qui étaient liées à une des personnes qui travaillaient au ministère des Affaires étrangères et stratégiques de l'Iran, un certain Mostapha Zahrani.

À partir de ces messages qui ont été publiés et qui nous sont devenus accessibles à tous, j'ai pu suivre le détail de toute une stratégie qui a été mise en œuvre et en place très tôt. C'est-à-dire que depuis les années 2008, juste avec ma libération, l'Iran a commencé à mettre en place des réseaux d'infiltration partout en Occident. Ces réseaux d'infiltration avaient pour but, grosso modo, de mettre en place une narrative pour que l'opinion publique des pays occidentaux puisse être favorable à certaines décisions de politiques internationales qui étaient intéressantes et que l'Iran voulait mener à bien. Il y avait d'une part, un discours politique qui devait être mis en place et d'autre part, il y avait une stratégie politique qui était celle de diaboliser toute opposition au régime. Il faut quand même le dire, étant donné que le régime iranien est non seulement dictatorial mais criminel, les personnes qui pensent différemment sont assassinées, exécutées. Il n'y avait plus d'opposition en Iran, sauf l'OMPI. C'était la seule organisation d'opposition au régime à rester en place. Et donc, par la force des choses, elle est devenue la cible principale de toute cette stratégie montée depuis le ministère des Affaires étrangères de l'Iran.

Ce dont je suis en train de parler est une opération à très haut niveau d'espionnage. Un espionnage qui avait pour raison d'être, d'infiltrer tous nos gouvernements en France, en Allemagne, en Suède, aux États-Unis et en tant que communauté européenne, également, toutes les institutions de l'Union européenne. Il s'agit de messages, un grand paquet de documents durant deux décennies, de 2003 à 2021, avec plein d'informations. C'est vraiment une boîte de Pandore. On ouvre ça et on trouve toutes sortes de choses. On trouve des copies de passeport, on trouve des invitations à des conférences, des billets d'avion. Tout et n'importe quoi. Mais on trouve aussi énormément de messages entre certaines personnes et le gouvernement iranien et en particulier cette aile stratégique du ministère des Affaires étrangères iraniennes. Là, on commence à voir comment ils ont construit à travers des académiciens, à travers des experts de la situation iranienne, un réseau de personnes qu'ils vont coopter, qu'ils vont mettre à leur solde, puisque ce sont des personnes qui vont être payées par le régime iranien sous couvert, parce qu'évidemment, ce sont des personnes qui ont leur profession par ailleurs, qui sont des professeurs universitaires, qui sont des experts, qui sont des analystes, évidemment des personnes reconnues par les médias, reconnues par les gouvernements avec un certain prestige.

Ces personnes vont intégrer quelque chose qui va s'appeler « l'Initiative d'Experts Iraniens ». Cette IEI va avoir pour obsession de vendre l'idée d'un accord nucléaire. C'est ce à quoi ils vont s'employer avec toutes sortes de raisons et de support, avec une narrative très fine, de façon très systématique, en touchant toutes les sources d'influence en Occident, que ce soient les universités, que ce soient les médias, que ce soit au niveau du net, que ce soient les porte-parole dans les gouvernements, dans les ministères, du plus petit jusqu'au plus haut placé dans la hiérarchie de la prise de décisions sur les thèmes qui impliquaient des décisions touchant à l'Iran. Il faut constater que ces courriels, puisque c'est aussi une évidence, sont un grand succès. Cette stratégie est un grand succès puisqu'en juillet 2015, ils réussissent à faire signer cet accord, l'accord du nucléaire, qui a été appelé à ce moment-là le plan d'action global commun (JCPOA).

Rappelons-nous ces images de personnes se serrant la main, s'applaudissant, se félicitant les uns à l'autre pour ce grand accord qui avait été réussi, malgré les difficultés. C'est-à-dire qu'on nous a vendu l'idée que nous étions demandeurs de l'accord et que l'Iran ne voulait pas de cet accord parce qu'il n'en avait pas besoin. Et qu'en fait, lorsque nous avons réussi à signer un accord sur le nucléaire, nous avions gagné. Nous avions gagné parce que nous avions réussi à ceinturer l'Iran. Ce que nous ne savions pas, c'est que cet accord faisait partie de la stratégie de l'Iran. Pourquoi ? Parce qu'il avait besoin de ne plus avoir de sanctions économiques et d'avoir des rapports systématiques avec les pays occidentaux.

Nous allons voir à travers ces courriels comment certaines personnes deviennent non seulement des acteurs de cet accord, mais aussi des personnes de plus en plus influentes qui arrivent à avoir, finalement à travers le temps, un grand pouvoir parce qu'elles vont être nommées dans les gouvernements occidentaux, qu'elles vont prendre des décisions. Et nos gouvernements ne vont pas savoir que ces personnes qui ont été nommées, parce qu'elles ont évidemment la nationalité occidentale, ont un double agenda. Ce sont des espions et ils sont à la solde de l'Iran.

La première, et d'ailleurs un des cas les plus intéressants, c'est celui d'Ariane Tabatabai.

Ariane Tabatabai est devenue le chef d'état-major du secrétaire adjoint à la Défense aux États- Unis. Ce n'est pas rien. C'est-à-dire qu'elle travaille au Pentagone, elle prend des décisions au Pentagone sur l'Iran et elle est payée par les Iraniens. Quand on voit ça, on se dit : ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible parce que s'il y a quelque chose que les Américains font, c'est de mettre plein de garde-fous et de filtres pour éviter d'être infiltrés. Et il y a aux États-Unis, ce qu'on appelle le security clearance, qui est une analyse très pointilleuse pour éviter d'être infiltré par des gouvernements étrangers. Sauf qu'Ariane Tabatabai fait très, très fort. Parce qu'elle a fait une carrière qui lui a permis d'effacer ses traces. Elle a commencé par la voie diplomatique et elle a travaillé avec un homme, Robert Malley.

Robert Malley va très bien parler le français puisqu'il va grandir en France. Il va arriver en France petit garçon, en 1969, mais revient aux États-Unis. Il va étudier dans des universités très prestigieuses. Il va faire un master à Oxford, que je connais bien, au Modern College, et il va faire son doctorat à Harvard. Dans tout ce parcours, il va connaître les personnes qui vont lui ouvrir les portes de sa carrière. Il va être avec Blinken, ici en France, à l'école. Il va être à Harvard avec Obama. Il va donc pouvoir faire ce parcours que je trouve assez extraordinaire, jusqu'au moment où il est nommé conseiller du président Biden en 2021. Donc, il devient vraiment quelqu'un de très proche, non seulement du président Biden, mais de tout ce qu'il y a à voir avec l'Iran. C'est le grand négociateur de l'accord nucléaire et il va avoir cette aura de négociateur de l'accord nucléaire, conseiller du président Biden, et il va avoir un pouvoir extraordinaire de possibilité d'influencer toutes les décisions des États-Unis en rapport avec l'Iran, jusqu'en 2023, c'est-à-dire l'année dernière, où il est limogé. Il est limogé et il n'y a aucune information sur les raisons de cette décision. La seule chose que la presse a réussi à faire filtrer, c'est qu'il aurait eu un traitement de documents sensibles indélicat. À partir de là, je crois qu'on peut mettre ce puzzle en place. Robert Malley, qui était cette personne de confiance du président Biden et du président Obama, puisqu'ils ont fait toutes ces négociations ensemble, était aussi et déjà à la solde des Iraniens ?

Avec qui ? Avec Ariane Tabatabai qui, elle, ayant passé de cette carrière diplomatique au Pentagone, continue au Pentagone. Ce qui est extraordinaire, pour nous qui regardons ça de loin, c'est de voir comment se fait l'infiltration de ces gouvernements, par ces agents qui sont très systématiques, très intelligents, très fins, qui réussissent à passer et à se maintenir malgré le fait qu'ils sont découverts et qui réussissent à rester dans le système.

"On nous a vendu l'idée que nous étions demandeurs de l'accord et que l'Iran ne voulait pas cet accord parce qu'il n'en avait pas besoin. Et qu'en fait, lorsque nous avons réussi à signer un accord sur le nucléaire, nous avions gagné. Ce que nous ne savions pas, c'est que cet accord faisait partie de la stratégie de l'Iran ".

Ce qui s'est passé aux États-Unis, on le retrouve en Allemagne avec d'autres personnages. Un autre s'appelle Adnan Tabatabai qui va faire la même chose qu'Ariane, mais en Allemagne. Et là, il va être reçu partout. Il va travailler avec la fondation Konrad Adenauer, avec la Fondation Friedrich-Ebert, avec les Italiens également, avec l'Istituto Affari Internazionali d'Italie. Il va faire partie de ce groupe d'experts, cette initiative d'experts iraniens (IEI), et toujours dans cette mouvance de vendre l'idée d'un accord nucléaire avec l'Iran. En Europe, dans la communauté européenne, au Parlement européen, un autre nom revient, celui de Rouzbeh Parsi. Lui également, expert reconnu, poisson dans l'eau, dans la mouvance de Bruxelles, qui va être là, va parler avec tout le monde et va réussir, lui aussi, à toujours avoir le mot qui fait que les gens vont se dire : oui, effectivement, il vaut mieux avoir une position de conciliation, de négociation avec l'Iran. Et ainsi de suite, aux États-Unis, il y a évidemment Ariane Tabatabai, mais il y en a d'autres :

Trita Parsi (frère de Rouzbeh), qui s'inventent un lobby et qui est découvert en tant que lobbyiste. Vous savez qu'aux États-Unis, on doit se déclarer lobbyiste pour pouvoir faire un lobby, il ne l'a pas fait. Donc, il est remis en question et pourtant, il est tout de même repêché par Obama qui va lui ouvrir les portes et va décider d'utiliser cet homme pour contacter le régime iranien. Vous voyez, ce sont des personnes qui, même lorsqu'elles sont découvertes, sont utilisées pour servir de contacts ou de relations avec le régime iranien.

Je trouve qu'il est très intéressant de voir la narrative qu'ils ont vendue, parce que vous allez retrouver des tas de choses que nous avons tous lues dans la presse, qui nous ont un petit peu étonnés, mais qui, d'une certaine façon, ont fait leur chemin. Un des arguments, c'est celui de dire que l'Iran est très puissant et qu'il ne peut pas être contenu et que donc, il vaut mieux gérer et être avec l'Iran, qu'être contre l'Iran.

À partir de là, ils disent : Téhéran n'a pas besoin de l'accord nucléaire, mais nous, on en a besoin en tant qu'Occidentaux. Une des choses qui, pour moi, a été révélatrice, c'est la façon dont ils présentent toute cette dialectique en disant : vous voyez, le problème c'est qu'en Iran, il y a deux groupes. Il y a les faucons et il y a les colombes. Les faucons n'ont aucun intérêt à cequ'il y ait un accord sur le nucléaire. C'est pour cela qu'il faut un accord pour le nucléaire, pour donner un espace, de la force, du soutien à cette faction à l'intérieur du régime qui est une faction modérée ! À partir de là, ce qu'il faut, c'est de ne pas céder aux pressions de ceux qui appellent à ce que l'Iran soit tenu en échec, parce que tenir en échec l'Iran, c'est faire le jeu de ceux qui, en Iran, sont en faveur d'une confrontation avec l'Occident. Ce qu'il faut, c'est d'essayer de donner un peu d'oxygène aux réformateurs. Ce qui est très intéressant, c'est que tout à coup, la pression, ce n'est pas celle de ceux qui veulent qu'on défende les droits de l'homme, que l'on défende la liberté, que l'on soutienne les Iraniens dans leur quête de démocratie.

La pression devient celle des Iraniens qui sont les faucons du gouvernement. C'est cette pression à laquelle il ne faut pas se soumettre. Et tout à coup, les cartes se mélangent. Et si l'on parle de contrer l'Iran, immédiatement, on devient un faucon. Et si on parle de droits de l'homme, immédiatement, on devient un faucon. Et dans cette espèce de vente de pacifisme, on nous présente l'idée de composer avec l'Iran, d'avoir une politique d'apaisement comme solution pour l'Occident. Solution parce que vous pourrez faire des affaires, parce que vous n'aurez pas à vous confronter un Iran qui est tellement fort, parce que vous pourrez influer sur le régime iranien.

« Le meilleur moyen de s'opposer à l'Iran, c'est de ne pas s'opposer à l'Iran »

Or depuis le départ, c'est le régime iranien qui, infiltré à travers ses experts et ses analystes sous couvert, nous vend une narrative qu'il a vendue partout dans la presse occidentale, que le meilleur moyen de s'opposer à l'Iran, c'est de ne pas s'opposer à l'Iran. Le meilleur moyen de contrer l'Iran, c'est de le laisser faire. Le meilleur moyen de défendre nos intérêts, c'est de défendre les intérêts du régime iranien. Là, je pense que c'est une des révélations très importantes de ces Iran Leaks, de ces courriels qui nous montrent comment ces personnes sont à la solde du régime iranien et comment elles ont une stratégie qu'elles mettent en œuvre systématiquement.

Je voulais vous lire deux apartés que j'ai trouvés dans ces courriels qui illustrent parfaitement ce dont nous parlons. Je vais vous parler d'un courriel qui a été adressé à Javad Zarif en 2014 par Ali Vaez, le directeur d'un groupe qui s'appelle l'International Crisis Group et qui va être conseiller auprès du président Biden. Vaez va écrire : « En tant qu'Iranien... ». Or, il travaille pour les États-Unis. Il est dans le gouvernement des États-Unis et il travaille pour le président Biden. Il écrit ceci:

« En tant qu'Iranien, sur la base de mon devoir national et patriotique, je n'ai pas hésité à vous aider de quelque manière que ce soit, de proposer à Votre Excellence une campagne publique contre la notion d'évasion nucléaire et d'aider votre équipe à préparer des rapports sur les besoins pratiques de l'Iran. »

Dans le même genre de courriel, on sent là d'une part le fait que ces gens sont complètement à la solde. Je veux dire : « votre Excellence », il ramène un petit peu ce qu'il a fait. « Tout ce que j'ai fait pour vous», il rend des comptes. Et Ariane Tabatabai va faire la même chose, mais elle, c'est assez intéressant. Elle raconte qu'elle a rencontré le prince saoudien Turki ben Faiçal et que le prince l'a invitée en Arabie Saoudite et qu'elle a aussi reçu une invitation pour aller à Israël et qu'elle demande ce qu'ils en pensent. Si elle doit aller en Arabie Saoudite, elle pense que ça peut être intéressant parce qu'elle pourra dire des choses. Au départ, elle ne voulait pas trop aller en Israël, mais elle se dit que peut-être, ça peut être intéressant parce que finalement, il y aura une voix différente à cette conférence. La réponse de Zahrani, qui est immédiate, est celle-ci: « Tout bien considéré, il semble que l'Arabie Saoudite soit un bon cas, mais il vaut mieux éviter le second, Israël. Merci. ». Quand on voit cela, on doit se demander que si on a réussi à en trouver aux États-Unis, en Allemagne, au Parlement européen et en Suède, et où sont-il en France ?

Et là, je vais vous raconter quelque chose qui m'est arrivé il y a quelques semaines. J'étais invitée à un dîner par la présidente de l'Assemblée nationale, Mme Braun-Pivet. Il y avait beaucoup de monde. C'était à l'occasion d'une invitation qu'elle faisait à toutes les femmes présidentes de Parlement du monde entier. Très intéressant. Là, on discute un petit peu avec tout le monde, cocktails, discours, etc. Les gens s'approchent, disent bonjour, repartent comme dans les cocktails normaux.

Et je vois une dame qui s'approche, très, très gentille et qui me dit :

-J'admire beaucoup ce que vous faites. Je vous suis depuis très, très longtemps.

-Je dis : Merci.

-Et j'ai vu que vous souteniez la résistance iranienne.

-Je dis : Oui, oui, oui.

- Vous avez tort. Ah, vous avez tort.

- Ah bon ?

- Oui, vous avez tort parce que vous savez, ce sont des terroristes.

- Je dis : Non, ce ne sont pas des terroristes. Absolument pas.

- Si, si, si. Ce sont des terroristes.

- Je dis : Non. Vous savez, les seuls qui disent que ce sont des terroristes, c'est le régime iranien.

C'est un groupe qui a servi, à la demande du régime, comme monnaie d'échange pour négocier avec l'Iran. Ils ont demandé à tous les gouvernements d'inscrire l'OMPI dans la liste terroriste. Et donc l'OMPI, oui, a été inscrite dans la liste terroriste de l'Union européenne, de l'Angleterre, du Royaume-Uni, des États-Unis. Et dans tous les cas, de l'Union européenne, du Royaume-Uni et des États-Unis, la justice, non pas les gouvernements, la justice, en examinant les dossiers, a exigé des gouvernements que l'OMPI soit retirée de la liste terroriste.

" Si vous voulez la chute du régime, il faudrait, au lieu d'attaquer l'opposition au régime, attaquer le régime. Mais pourquoi vous vous concentrez sur des attaques contre la seule organisation réelle qui existe en ce moment et qui fait face au régime ? Mais cette dame de Femmes

Azadi ne défend pas les femmes iraniennes. Elle défend une politique de division de l'opposition iranienne ».

Donc, j'explique à cette dame, je lui dis: Vous vous trompez. Et je lui raconte un petit peu l'histoire puisque je la connais, puisque nous avons été là et nous avons souffert de tout cela.

-Elle me dit : Si, si, mais vous ne savez pas, c'est un culte. C'est une femme qui gère ça et c'est une organisation qui est un culte.

- Je lui ai dit : Non, ce n'est pas un culte. Ce sont des personnes qui se sont organisées, qui ont beaucoup souffert parce qu'elles ont payé le gros prix de s'opposer au régime iranien. Mais expliquez-moi qui vous êtes.

Parce qu'à partir de là, je me dis : Je veux quand même savoir qui est cette dame qui est si intéressante.

Elle me dit : Moi, je suis une ingénieure nucléaire.

- Ok, très bien.

- Oui, j'ai travaillé avec le CEA.

- Oui, d'accord. Ça, c'est important. C'est crédible.

- Elle me dit : Mais je ne comprends pas pourquoi, si vous êtes avec l'OMPI, il faut absolument que l'OMPI soit, à la chute du régime, ceux qui prennent le pouvoir.

- Je dis : Non, pas du tout. Personne n'a dit ça. Il s'agit de faire la transition vers une démocratie et le peuple iranien choisira.

- Oui, parce qu'il peut choisir les royalistes.

- Je dis : Oui, Il peut choisir les royalistes, il peut choisir d'autres choses. De toute façon, entendons-nous bien, quand on dit les royalistes, on est en train de dire que le peuple iranien passerait d'une dictature comme celle des mollahs, théocratique, à une autre dictature, parce que c'était quand même une dictature. Le chah était une dictature séculaire, certes, mais c'était quand même une dictature.

- Elle me dit : Oui, mais vous savez, l'OMPI, c'est un mouvement guerrériste et d'ailleurs, il est détesté en Iran parce qu'ils ont participé à des exactions contre les Iraniens.

- Je dis : Mais ce que vous dites là n'est pas vrai. C'est faux. Mais ce que je ne comprends pas,c'est votre position. Vous êtes quoi, tout au juste ? Vous êtes Iranienne ?

- Elle dit : Oui, je suis Iranienne.

- Vous voulez la chute du régime.

- Elle dit : Oui, je veux la chute du régime.

- Je lui ai dit : Si vous voulez la chute du régime, il faudrait, au lieu d'attaquer l'opposition au régime, attaquer le régime. Mais pourquoi vous vous concentrez sur des attaques contre la seuleorganisation réelle qui existe en ce moment et qui fait face au régime ? Là, elle me dit quelque chose qui m'a sidérée. Elle m'a dit : Je me suis fait attaquer, moi, par eux.

- Je dis : Vous vous êtes fait attaquer ?

- Si, si. Et j'ai les photos.

- Je dis : Montrez-moi.

- Et elle me dit : Parce qu'il y a eu une réunion à la mutualité,

- J'ai dit : Oui, j'étais là.

- Et ils nous ont attaqué.

- Je dis : Nous, qui ?

- Moi et mes compagnons.

- C'était qui vos compagnons ?

-Non. C'était un groupe de personnes. Nous étions là parce que nous voulions expliquer aux gens qui entraient que l'OMPI est une horreur et qu'on a le droit de penser ce qu'on veut et qu'on voulait qu'ils le sachent. Et là, ils nous ont tabassés.

"Et là, je me retrouve avec les courriels dans lesquels un des points forts c'était de donner de l'espace à une opposition royaliste pratiquement inexistante pour pouvoir dire qu'il y avait en Iran diverses options et que l'OMPI n'est pas l'option crédible ».

-Et là, je lui ai dit : Non. Moi, j'étais là. Personne n'a tabassé personne. Et d'ailleurs, je vais vous dire une chose, je les connais depuis très longtemps, ce n'est pas le style. Alors par contre, ceux qui tabassent, oui, c'est les autres. Les autres, ils ont des prisons où on tabasse, où on torture, où ils prennent en otage des ressortissants européens pour les échanger contre des terroristes, qui eux sont des terroristes inculpés, condamnés dans le pays et qu'ils réussissent à libérer grâce à ce chantage. Je pense que vous vous trompez de camp et je pense que vous devriez réviser votre stratégie.

Je suis sortie de là un petit peu inquiète en me disant : Ouh là, qui est cette dame ? Et en faisant ma recherche, j'ai trouvé des choses intéressantes. Cette dame est effectivement quelqu'un qui a travaillé avec le CEA. C'est une personne qui a complètement effacé tout ce qu'il y avait sur elle sur le net depuis trois ans. Vous savez qu'en Europe, il y a une loi qui est le droit à l'oubli. Moi, je crois au droit à l'oubli. Je crois qu'on peut changer. Je crois qu'en plus, je suis catholique et ça fait partie de ce que l'on pense, que les gens se rachètent et qu'on peut véritablement faire un processus et qu'on peut changer.

Mais là, ce qui est très étonnant, c'est que cette dame qui ne s'est jamais intéressée véritablement à la question de la souffrance du peuple iranien, tout d'un coup, devient cette personne qui, apparemment, est royaliste, mais qui en plus fait partie d'une autre association qui vient de se créer, Femmes Azadi. Et là, je tombe des nues parce que je me dis : Mais quel est le rapport ?

Cette personne n'a jamais milité sur rien. Je veux bien croire qu'avec ce qui s'est passé en

Iran, on veuille effectivement se réveiller et prendre la défense des femmes iraniennes. Ça, je le comprends. Mais quand je vois la façon dont elle agit, je me dis : Mais elle ne défend pas les femmes iraniennes. Elle défend une politique de division à l'opposition iranienne. Et là, je me retrouve avec les courriels que j'avais analysés et dont je vous parlais, dans lesquels un des points forts, c'était de diviser l'opposition et c'était de donner de l'espace à une opposition royaliste pratiquement inexistante pour pouvoir dire qu'il y avait en Iran diverses options et que l'OMPI n'est pas l'option crédible. Avec cette stratégie systématique, qu'ils ont mise en œuvre depuis plus de 20 ans, ils ont réussi à ce que systématiquement, les gouvernements occidentaux mettent à l'écart la seule option organisée, politique, de défense des droits de l'homme et qui en plus, a pour chef et pour leader une femme dans un pays ouvertement misogyne comme est le régime des mollahs, en démontrant que le pouvoir des femmes, c'est le pouvoir politique.

Et donc, ce groupe Femme Azadi, qui devrait s'intéresser quand même à la seule organisation d'opposition où les femmes ont véritablement un rôle important, a pour fonction première, d'attaquer l'OMPI. Fonction seconde, et ça m'a aussi intéressé, quand on va sur le site de l'association de Femme Azadi, vous allez voir un entête et ensuite, vente de produits. On vous vend des casquettes et on vous vend des cabas.

Moi, je me dis qu'il faudrait quand même que nous ouvrions les yeux face à toutes ces stratégies qui sont mises en œuvre pour freiner la seule option qui fait peur au régime iranien, qui est celle avec laquelle nous sommes aujourd'hui. Seule option qui mérite qu'il dépense des fortunes pour essayer de diaboliser les personnes qui intègrent ce mouvement.

Comme je le disais au départ, quand on veut savoir qui sont les personnes avec lesquelles on parle, on regarde avec qui elles sont. Moi, pendant toutes ces années, j'ai la grande satisfaction d'avoir été aux côtés des personnes, au niveau mondial, pas seulement au niveau français, que je respecte le plus. Je sais que nous sommes tous ici conscients d'être en très bonne compagnie.